En une décennie, Yilian Cañizares s’est imposée comme une figure incontournable de la nouvelle scène cubaine et du jazz. Après le coup d’éclat inaugural d’Ochumare (2013), la chanteuse et violoniste n’a eu de cesse de confirmer, que ce soit en solo avec Invocación (2015) et Erzulie (2019) ou en duo avec Aguas (2018) aux côtés d’Omar Sosa. Avec Habana-Bahia, son tout nouvel album, elle signe le nouveau chapitre d’une carrière appelée à durer encore de longues années…
Le cuban jazz, une affaire d’hommes ?
Lorsqu’il est question de cuban jazz, une litanie de pianistes virtuoses affleure l’esprit de l’amateur éclairé. Chucho Valdés, Roberto Fonseca, Omar Sosa, Gonzalo Rubalcaba, Harold López-Nussa…
Une domination sans partage de la gente masculine sur fond de touches d’ébène et d’ivoire ? Pas vraiment, disons plutôt un vieux réflexe conditionné que des artistes comme Yilian Cañizares ou Ana Carla Maza ont largement contribué à remiser au placard ces dernières années.
Non, le cuban jazz n’est pas qu’une affaire d’hommes et en la matière, les femmes sont loin d’être dans les cordes. Ou plutôt si, elles le sont au sens littéral du terme – Yilian Cañizares est violoniste et Ana Carla Maza violoncelliste – mais ce qui prime ici, c’est la sensibilité toute particulière qu’elles ont su développer au fil de la carrière.
Nul ne s’étonnera donc que Yilian Cañizares affiche à son actif une liste de collaborations qui force le respect, de Chucho Valdés à Omar Sosa, de Roberto Fonseca à El Comité tout en passant par Ibrahim Maalouf, Richard Bona ou Diego el Cigala, les plus grands noms se l’arrachent tant elle a su cultiver sa propre singularité.
« Yilian est l’un des talents les plus incroyables de la nouvelle génération de musiciens cubains. Elle est virtuose, expressive, spontanée et a une grâce qui fait d’elle la favorite de nous tous. » disait d’elle Chucho Valdés il y a quelques années.
Le cuban jazz n’est définitivement pas qu’une affaire d’hommes et encore moins quand son plus illustre représentant vous a personnellement adoubée.
Habana-Bahia ou l’exploration de l’africanité
Alors qu’Erzulie (2019) revisitait avec brio les contours musicaux de la Nouvelle-Orléans, Habana-Bahia s’attache quant à lui à explorer l’âme noire du Brésil, Salvador de Bahia, forte de ses 360 églises et de son vibrant héritage de la culture Yoruba.
Habana-Bahia s’affirme ainsi comme un profond voyage spirituel qui démarre de la plus belle des manières avec Oxum, une ode musicale gorgée de soul dédiée à cette divinité protectrice qui veille depuis longtemps sur Yilian Cañizares, mais qui est aussi chérie par les lavandières du quartier d’Itapuã de Salvador de Bahia.
Notre voyage se poursuit avec l’imparable Lo Que Tiene Que Legar, petit bijou d’orfèvrerie musicale serti de graciles arabesques de violon et de vertigineux arrangements vocaux. En apesanteur entre pulsations afro-cubaines et brésiliennes, conjuguant merveilleusement modernité et tradition, ce morceau envoutant se voit magnifié par une production au cordeau qui invoque pêle-mêle reverbs et delays aériens, synthés analogiques et brisures rythmiques gorgées de saturation. Derrière la console, le sorcier Alê Siqueira, célèbre pour son travail sur le cultissime album Tribalistas (2002) du triumvirat Carlinhos Brown, Arnaldo Antunes et Marisa Monte, distille toute sa science du son…
Si le titre éponyme Habana–Bahia nous ramène en plein âge d’or de la musique cubaine aussi sûrement que l’explosif Bembé nous plonge au cœur du feu nucléaire d’une samba, ce quatrième album d’Yilian Cañizares subjugue avant tout par sa capacité à fusionner les styles et les époques avec une naturalité déconcertante.
À ce titre, La Gloria Eres Tú, chantée en duo avec le bahianais Tiganá Santana, est exemplaire. Dans nos oreilles, une ballade d’un autre âge mais ornée d’arrangements contemporains, des voix suaves susurrées tour à tour en Espagnol et en Portugais pour, au final, une chanson à forte identité, ni vraiment mambo, ni vraiment bossa, mais qui fonctionne à plein…
Un album brillant qui esquisse les grandes lignes de fuite d’une cartographie rarement révélée, celle de ces fils spirituels qui unissent le Brésil et Cuba, des liens profonds qui échappent aux livres d’Histoire et trouvent leur origine en Afrique dans la culture Yoruba. Pour autant, en dépit de son érudition, Habana–Bahia n’a rien d’une thèse en ethno-musicologie et revêt plutôt les atours d’une joyeuse célébration, celle d’une musique vivace, voyageuse, aux racines ancestrales qui n’aspirent qu’à être conjuguées au présent.
Yilian Cañizares en concert au Café de la Danse
Notez bien sur vos tablettes la date du 8 novembre pour découvrir sur scène ce somptueux album de Yilian Cañizares. Au Café de la Danse, la chanteuse et violoniste cubaine, portée par un groupe de cinq musiciens cubains, brésiliens et africains, va nous emmener loin, très loin, au fil d’une célébration spirituelle entre Salvador de Bahia et La Havane…
Ne la manquez pas !
Crédits photo principale : Yilian Cañizares © Franck Socha
FICHE ALBUM
- ARTISTE : Yilian Cañizares
- TITRE : Habana – Bahia
- DATE DE SORTIE : Le 6 octobre 2023
- LABEL : Planeta Y