La vie et le cinéma sont intimement liés. Tous deux se nourrissent mutuellement et le plus souvent, on ne peut comprendre l’un sans l’autre. Pour No nos moverán (actuellement au cinéma), son premier long métrage, le réalisateur mexicain Pierre Saint-Martin Castellanos s’est inspiré du passé douloureux de sa famille. Dans cet entretien, il nous parle de la genèse de son film, du massacre de Tlatelolco ainsi que de sa collaboration avec la grande actrice Luisa Huertas qui incarne de façon saisissante l’héroïne de cette histoire.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre film ?
Tout est parti de la mort de mon oncle Jorge (Coque) Castellanos, décédé en 1968… Cet événement a provoqué un profond sentiment de culpabilité et de douleur pour ma mère, dont j’ai hérité par la suite. En grandissant, ce traumatisme familial a éveillé mon intérêt pour le mouvement de protestation étudiante qui a eu lieu au Mexique en 1968. J’ai alors découvert les atrocités qui s’y étaient produites, notamment celles du 2 octobre, et j’ai été saisi par un sentiment de perte et un besoin de justice à tout prix. Cet état d’esprit m’a poussé à me pencher sur mon histoire familiale et sur le massacre de Tlatelolco.
Au moment même où j’écrivais le scénario, ma mère était très malade et nous pensions qu’elle allait mourir. J’ai donc l’impression d’avoir écrit le film comme une lettre d’amour pour elle. Il fallait véritablement tirer un trait sur toute cette douleur du passé.
En parlant du massacre de Tlatelolco qui est évoqué dans le film, quel regard portent les jeunes générations sur ce terrible événement ?
Luisa Huertas, qui interprète Socorro, a participé au mouvement étudiant de 1968. Elle a toujours défendu l’importance d’aborder dans le film le massacre de Tlatelolco afin que les jeunes puissent avoir un lien actualisé avec ce terrible événement.
Jusqu’à présent, c’est chose faite puisque lors de la présentation du film en première mondiale au Festival Cinelatino de Toulouse, on a pu constater un intérêt évident du jeune public qui nous a d’ailleurs décerné un prix. Par la suite, au Festival international de Guadalajara, No nos moverán a obtenu une mention décernée par les écoles de cinéma. Nous sommes très heureux que le jeune public ait pu trouver un film dans lequel il se retrouve et qui lui parle.
« Il fallait véritablement tirer un trait sur toute cette douleur du passé. »
Le personnage de Socorro exerce le métier d’avocate et a la notion de justice chevillée au corps. Est-ce une allégorie d’un grand nombre de Mexicains qui souhaitent la justice dans un pays où la corruption est omniprésente ?
Tout est parti de l’histoire en elle-même. À l’origine, ma mère voulait être vétérinaire, mais après la mort de son frère, elle a décidé de devenir avocate et de se battre pour les personnes aux ressources économiques limitées, tous ces gens qui ont dû mal à se payer un avocat. Donc oui, en quelque sorte, Socorro est une allégorie de la population mexicaine, d’un justicier dans un monde où la justice est justement absente.
Le Mexique connaît d’énormes problèmes de corruption, comme cela peut aussi être le cas dans certains pays européens ou asiatiques. Cela vaudrait la peine, comme le film le mentionne, de parler de la notion d’équité des lois qui nous gouvernent et du fait que, de manière générale, elles sont surtout conçues pour le bien-être d’une poignée de personnes et non pour la majorité.
Pour le rôle de Socorro, vous avez fait appel à la grande comédienne Luisa Huertas. Était-ce une évidence pour vous ?
Pour moi, il n’y avait personne d’autre au monde que Luisa Huertas pour incarner le personnage de Socorro. Ce film est à son image. La manière dont elle interprète les émotions et toutes les facettes de cette femme est assez bluffante. Quand je suis venu lui proposer le rôle, elle s’est montrée très enthousiaste et très professionnelle. Avant de s’engager dans le projet, elle voulait en savoir davantage et c’est ce que j’ai aimé chez elle, le fait qu’elle soit d’une grande sincérité. Elle s’est engagée à fond dans le film, apportant même certains ajustements au scénario qui a ainsi gagné en profondeur. Il y a beaucoup de Luisa dans le personnage de Socorro. Une fois de plus, elle a fourni une performance incroyable.
L’un des autres paramètres importants, c’est cette sublime photographie avec ce noir et blanc d’une incroyable richesse…
Dès que j’ai imaginé le film, j’avais l’idée d’une image en noir et blanc. Pour moi, No nos moverán évoque le point de vue de Socorro, qui continue à vivre dans le passé malgré les années qui passent. C’est un peu comme si elle vivait à l’intérieur d’une photo en noir et blanc. Une photo qui la hante…
Pour trouver cette image que j’avais en tête, j’ai eu le privilège de collaborer avec l’un des plus grands photographes du Mexique, César Gutiérrez. Il souhaitait trouver un noir et blanc qui fasse moderne. D’un côté, nous avons donc une photo qui fait appel à la nostalgie et, de l’autre, un traitement plus moderne, avec une certaine brillance. Nous avons effectué plusieurs tests et avons réussi à trouver le noir et blanc idéal qui synthétisait parfaitement référence au passé et modernité.
Retrouvez ici notre chronique de No nos moveran de Pierre Saint-Martin Castellanos.
Crédits photo principale : Portrait de Pierre Saint-Martin Castellanos © Bobine Films