À l’occasion de la sortie en salle d’À nos enfants, son nouveau long métrage en tant que réalisatrice, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Maria de Medeiros. Elle revient sur la genèse de ce film qui prend place à Rio de Janeiro et aborde avec beaucoup d’intelligence les thèmes de la maternité, du genre et des conflits intergénérationnels. Elle évoque également ses grands souvenirs de cinéma où se croisent, parmi tant d’autres, Quentin Tarantino, Chantal Akerman et Manoel de Oliveira…
À nos Enfants est inspiré d’une pièce de théâtre de Laura Castro, la comédienne qui joue Tania dans le film et que vous avez vous-même interprété au Brésil. Pourquoi avez-vous décidé de l’adapter au cinéma ?
Quand Laura Castro m’a envoyé sa pièce, un monde s’est ouvert devant moi. J’ai découvert les défis que représente le fait d’avoir des enfants pour un couple gay. J’ai aussi appris combien cette situation variait selon les pays et que le Brésil, à cette époque, en 2013, était plus avancé sur ces questions que la France, par exemple.
La pièce est un long dialogue d’une nuit entière entre une mère et sa fille. La mère est clairement à l’opposé d’une mère conservatrice. Elle a été de tous les engagements, a résisté à la dictature militaire au Brésil, a été emprisonnée, torturée, exilée. Aujourd’hui encore, elle s’occupe d’enfants séropositifs. Toutefois, son ouverture d’esprit atteint ses limites lorsque sa fille lui annonce qu’elle attend un enfant qui est porté par sa compagne.
Ce dialogue entre deux personnages très intelligents m’a vraiment très intéressée. Tous deux ont des arguments parfaitement valables. D’emblée, j’y ai vu un film, quelque chose comme une « Sonate d’automne » tropicale. J’avais envie de faire exister tous les personnages dont on parlait, les situations, la fascinante ville de Rio.
« Quand les enfants sont là, il n’y a plus à discuter. Seulement les protéger et les aimer. »
Le sujet de l’homoparentalité, l’adoption et les questions des origines soulèvent de nos jours beaucoup de polémiques. Avec votre film, de quelle façon avez-vous souhaité contribuer au débat ?
Déjà, faire connaître le débat, soulever des questions, c’est important. Réfléchir avec empathie, sans foncer tout droit vers des idées préconçues également. Les personnages défendent leurs points de vue et exposent aussi leurs préjugés. Chaque génération est porteuse de ses aspirations, mais aussi de ses limites, de ses blocages. C’est un film sur la transmission, cet acte d’amour nécessaire. La seule chose qui est certaine pour moi, c’est que lorsque les enfants sont là, il n’y a plus à discuter. Seulement les protéger et les aimer.
Loin des images d’Épinal, vous portez aussi votre regard sur le quotidien des classes moyennes de Rio de Janeiro, une population que nous voyons rarement sur grand écran. C’est un choix assumé ?
Oui, je voulais vraiment montrer Rio de Janeiro tel que je le perçois. Loin des plages de surfeurs ou des gangs des favelas et de leur déluge de violence. Je voulais rendre compte de ces gens que je connais, une classe moyenne qui a pleinement profité de la démocratie, travailleuse, analytique, mais qui a ses propres contradictions. Également, il y a cette incroyable verticalité de la ville, dans sa géographie aussi bien que dans sa composante sociétale. Rio regorge de lieux sublimes, foisonnants, pleins de couleurs qui offrent un cadre poétique à la Jacques Tati, des lieux où il faut toujours monter ou descendre pour s’y retrouver.
La dictature militaire est également très présente dans le film, à travers le passé de Vera qui était opposante politique dans sa jeunesse. Est-il important de se rappeler de l’Histoire ?
Dans la pièce, Laura Castro parle au plus près de son expérience personnelle, car elle a trois enfants avec une autre femme. Nous avons souhaité conserver dans le film cette proximité avec le vécu.
C’est ainsi que ce projet, qui a commencé comme une comédie assez solaire, confiante, s’est vu rattrapé par l’obscurcissement brutal qu’a connu le Brésil ces dernières années. Le film s’est rempli de ces démons du passé, d’angoisses du retour de choses que l’on pensait révolues… D’où l’importance de la transmission.
Vera, la mère, reproche à sa fille de ne s’intéresser qu’à ses aspirations personnelles, et non à ce que les générations précédentes ont sacrifié pour permettre ce retour à la liberté collective. La fille, elle, reproche à Vera d’avoir sacrifié sa vie de famille à son engagement politique et de ne pas comprendre la légitimité de son désir d’enfant. Quelque chose s’est grippée dans la transmission. Et cela peut être dangereux. L’oubli historique, le manque d’attention à la mémoire ou aux changements actuels de la société est la porte ouverte à des régressions latentes et très destructrices.
En parlant d’Histoire, votre premier long métrage comme réalisatrice était Capitaines d’avril sur la révolution des Œillets au Portugal. Quel était alors pour vous le plus grand défi ?
Le principal défi tenait à l’ambition même du projet. Capitaines d’Avril est un film de guerre qui raconte cette extraordinaire Révolution des Œillets au Portugal, le 25 Avril 1974. C’est un Coup d’État tout à fait atypique et humaniste, qui reste un cas quasiment unique dans toute l’Histoire. Des jeunes militaires de carrière, qui reviennent d’une brutale guerre coloniale, se révoltent contre une dictature longue de 48 ans. Ils changent la face du Portugal en quelques heures et ouvrent avec générosité la voie à une démocratie. Notre démocratie actuelle.
Pour moi, raconter cette histoire du point de vue des hommes qui en ont été les grands protagonistes, à la fois timides et courageux, était devenu un objectif vital. Au bout de 13 ans d’obstination, le film a vu le jour, sous la forme d’une co-production entre quatre pays européens. À mes yeux, cette Révolution reste d’une absolue actualité car elle naît d’une indignation citoyenne authentique et d’un sens aigu des responsabilités.
En tant qu’actrice vous avez travaillé avec de nombreux réalisateurs d’origines et d’univers différents : Tarantino, Manoel de Oliveira, Joao César Monteiro, Philip Kaufman, Bigas Luna… Que vous ont-ils transmis ?
Je considère comme une chance immense d’avoir pu travailler avec des auteurs-réalisateurs aussi divers que formidables. La découverte de l’univers de chacun, de son langage, a été une expérience passionnante. Une incroyable école de cinéma où le principal enseignement a sans doute été la liberté de création.
Pulp Fiction est un film qui a marqué des générations de cinéphiles. Qu’a représenté pour vous le fait d’incarner Fabienne aux côtés de Bruce Willis ?
Tarantino est un grand auteur. C’était évident dès son premier film, Reservoir Dogs, et j’ai pu le confirmer à la lecture du scénario de Pulp Fiction. Il écrit admirablement bien et a prouvé que des œuvres artistiques complexes et hors normes pouvaient toucher un public très large. J’ai adoré interpréter ces scènes aux côtés de Bruce Willis, un excellent acteur, mais aussi un excellent compagnon de travail. Sans même parler du travail de mise en scène millimétré de Quentin Tarantino…
Dans votre vie, y a-t-il des artistes féminines qui, par leur exemple, ont tout particulièrement compté pour vous ?
Bien sûr. J’ai eu la chance de travailler avec de nombreuses grandes artistes. Notamment, Brigitte Jaques, qui m’a proposé une pièce très importante tirée des leçons de Louis Jouvet, Elvire, Jouvet 40. Mais aussi Chantal Akerman avec J’ai faim, j’ai froid. Et la grande réalisatrice portugaise Teresa Villaverde avec Deux frères, ma sœur, pour lequel j’ai reçu le prix d’interprétation à Venise.
Vous véhiculez une image d’actrice et réalisatrice très européenne. Qu’est-ce que l’Europe signifie pour vous ?
J’aime l’Europe dans toute sa diversité, ses cultures, ses langues et son projet commun. Parce que je suis portugaise et française, et que dans mon enfance j’habitais en Autriche, alors je me suis très tôt habituée à l’idée européenne. J’ai toujours adoré traverser ce territoire pluriel, gorgé d’Histoire.
Que les frontières s’ouvrent était une évidence. L’union dans la pluralité est une idée ambitieuse et nécessaire. Accepter la complexité du réel, le dialogue et le questionnement, accueillir l’autre comme l’un des nôtres, c’est une marque de civilisation.
Quels sont vos prochains projets ?
Je serai bientôt en tournée théâtrale en France avec Les parents terribles de Jean Cocteau. C’est drôle, la relation parent-enfant semble être pour moi la thématique du moment. Je suis également en train d’écrire un nouveau long-métrage. Ce sera de nouveau une histoire qui a trait à une fameuse révolution, celle de Cuba.
Retrouvez ici notre chronique du film À nos enfants.
FICHE DU FILM
- Titre original : À nos enfants
- De : Maria de Medeiros
- Avec : Marieta Severo, Laura Castro, José de Abreu, Marta Nóbrega
- Date de sortie : 23 février 2022
- Durée : 1h 47 min
- Distributeur : Epicentre films