Rencontre avec Manuel Nieto Zas

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Après El lugar del hijo (2013), le réalisateur uruguayen Manuel Nieto Zas explore avec Employé / Patron l’univers agricole et nous livre un puissant drame social sur les terres des gauchos. Nous l’avons rencontré entre deux festivals, à l’occasion de la sortie du film. Il revient sur l’origine de ce long métrage dont l’action prend place dans les grandes plaines uruguayennes et qui relate une histoire de classes sociales. Il évoque également son passage à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes l’année dernière et sa collaboration avec Nahuel Pérez Biscayart, l’un des protagonistes du film.

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Votre troisième long métrage, Employé / Patron, est une histoire qui se déroule en milieu rural et raconte comment les relations de travail sont intimement liées aux relations personnelles et familiales. Pouvez-vous nous parler de la genèse du film ?

La première idée qui m’est venue a été le titre. C’était juste après la fin du tournage de mon film précédent, El lugar del hijo. Le dernier tiers de ce film se passe à la campagne, dans un ranch délabré où évoluaient des ouvriers ruraux travaillant pour un nouveau patron. J’ai rapidement réalisé que j’avais envie de poursuivre dans cet univers, d’approfondir des sujets en lien avec ces paysages et ces personnages issus de la campagne uruguayenne. Dans le même temps, dans ma vie privée et tout à fait fortuitement, j’ai rencontré un jeune patron, semblable à celui d’Employé / Patron dont je me suis beaucoup inspiré. À partir de ces trois éléments, de ces trois idées initiales, j’ai commencé à tisser l’histoire du film.

Le film révèle la forte différence existante entre les classes sociales en Uruguay. Les deux protagonistes appartiennent à des mondes complètement distincts. L’un est le fils d’un propriétaire terrien tandis que l’autre est un ouvrier agricole sans ressources qui a besoin de travailler pour couvrir les besoins les plus élémentaires de sa famille. Comment avez-vous travaillé cette dichotomie entre vos deux personnages principaux ?

Les personnages sont déjà définis par le titre du film. Pour moi, il est très important, car il donne au spectateur le point de départ de l’histoire. Mais cette différence de classes ou de mondes que vous pointez avec votre question, je pense qu’elle est universelle dans la mesure où nous sommes quasiment tous régis par cette logique capitaliste. En Europe ainsi qu’en France, les mêmes situations se produisent.

J’ai construit le récit dramatique à partir des interactions entre ces deux mondes et leurs personnages. En les rapprochant, on s’aperçoit qu’ils ont des points communs. Les deux familles ont des éléments qu’elles partagent, elles fonctionnent en quelque sorte comme un jeu de miroir. Il y a bien sûr des choses qui les opposent, mais tous deux sont des personnes jeunes qui agissent avec un certain manque de responsabilité.

Le patron est incarné par Nahuel Pérez Biscayart, un jeune acteur bien connu en Argentine et qui a aussi une brillante trajectoire en France. Avez-vous pensé à lui dès le départ pour incarner ce rôle ?

Je n’ai pas écrit le film en pensant précisément à Nahuel Pérez Biscayart. Mais en tant que producteur, avec mes partenaires argentins, nous souhaitions donner au film une plus grande visibilité en termes d’audience que mes films précédents qui n’avaient pas d’acteurs connus. Nous avons donc commencé à réfléchir et à chercher un nom qui répondrait à plusieurs exigences. D’abord, qu’il soit argentin à cause de la langue (en Uruguay nous n’avons pas d’acteurs de renommée internationale et encore moins si jeune). En second lieu, que ce soit un bon acteur et qu’il prenne le risque de s’engager dans un projet comme celui-ci. Et en troisième lieu, c’était pour moi quelque chose d’incontournable, il fallait que le personnage ait un physique particulier.

Quand le nom de Nahuel est apparu, à mes yeux, c’était formidable car ça me permettait de construire le personnage de ce jeune patron à l’opposé du stéréotype des mâles forts et dominants. Je souhaitais transmettre une certaine fragilité, un doute existentiel et des sentiments proches de la compassion et de l’empathie pour autrui. La minceur et la petite taille de Nahuel, ainsi que son regard très expressif, tombaient à point nommé.

Comment avez-vous travaillé avec des acteurs professionnels et non professionnels ?

J’ai l’habitude de travailler avec ce mélange d’acteurs professionnels et non professionnels, même si dans mes deux films précédents, les non professionnels prédominaient. Dans Employé / Patron, il y a une division très claire entre deux univers et cette différence se retrouve également chez les acteurs. Le monde et la famille du patron sont incarnés par un casting international de renom tandis que l’univers de l’employé est quant à lui joué par des acteurs non professionnels, que l’on a rencontré dans les lieux même où l’on a filmé.

Ces derniers sont originaires pour la plupart de la zone frontalière entre l’Uruguay et le Brésil. Mon travail avec eux – je fais référence à Cristian Borges, Fátima Quintanilla et Carlos Lacuesta, etc… – est basé sur une confiance mutuelle que je me charge d’entretenir. En tant que cinéaste, je travaille avec leur propre personne, pas avec ce qu’ils peuvent représenter. Je leur fais interpréter ce qu’ils sont dans la vie ou quelque chose de très proche. Ces interprètes parviennent à être extrêmement précis et maîtrisent rapidement les techniques de base de la mise en scène. Ils font toujours ce que je leur demande et ça se passe très bien.

Au contraire, les acteurs professionnels, dans la mesure où ils travaillent sur la base de la construction ou de la représentation et qu’ils sont très conscients de ce qu’ils font, sont toujours en train de proposer, d’ajouter ou de supprimer des choses afin d’améliorer et de s’approcher au plus près de ce qu’ils pensent être l’essence du personnage. Pour moi, c’est beaucoup plus difficile à gérer, je dirais que je travaille avec les acteurs scène par scène.

Le cheval a une présence et une symbolique particulière dans le film. Il y a même une course de chevaux… Quelle est l’importance du cheval en Uruguay, notamment à la campagne ?

Dans le film, le cheval est une sorte de monnaie d’échange entre l’employé et le patron, il fait aussi référence aux origines de l’employé et symbolise en même temps une certaine idée de liberté. Pour nous, les Uruguayens, le cheval est un symbole patriotique très fort. Eu égard au personnage de l’employé, la présence de cet animal est aussi très importante. Le gaucho symbolise historiquement la main-d’œuvre rurale. Cette symbolique recouvre un territoire beaucoup plus vaste que l’Uruguay. On la retrouve aussi dans le Sud du Brésil, la Mésopotamie et la pampa argentine. Toute cette vaste région marquée aujourd’hui par une même logique agro-industrielle a une vénération pour le cheval.

La photographie est très soignée et les images de la ferme, de la nature et de la plaine sont splendides… Comment avez-vous travaillé cette partie du film ?

J’ai travaillé avec Arauco Hernández, le directeur de la photographie, qui est un vieil ami. Sur le tournage, notre relation a été particulièrement intense. Nous avons beaucoup discuté de la mise en scène, des mouvements ou des angles de la caméra. Nous n’avons pas trouvé tout de suite et il a fallu chercher la magie et l’essence de chaque scène chaque jour. Parfois, ce fut long, on pouvait y réfléchir pendant trois heures. Le résultat est très bon mais, du moins de mon côte, ce fut épuisant.

Le film a été sélectionné l’an dernier à la Quinzaine des Réalisateurs. Quels souvenirs gardez-vous de votre passage à Cannes ?

J’étais très ému d’être là. C’était comme un rêve devenu réalité, la meilleure façon possible de mener à bien un processus qui m’a pris six ans. En plus, j’étais entouré de toutes mes partenaires-amies.

À cause de la Covid, c’était très calme. Il n’y avait pas beaucoup de personnalités du cinéma mais plutôt des touristes. Il n’y avait pas de marche du film (du moins en présentiel) et très peu de presse internationale. J’ai donc passé la plupart de mon temps sur la plage ou à regarder des films, chose qui aurait été impossible sur une autre édition. Je me souviens que beaucoup de gens suite à la présentation du film m’ont félicité et m’ont dit que j’avais réalisé une sorte de thriller. Sur le coup, j’étais étonné, mais j’ai accepté et finalement compris le compliment bien que ça ne m’avait jamais traversé l’esprit de faire ça.

En Europe, on sait très peu de choses sur le cinéma uruguayen. Comment voyez-vous le cinéma de votre pays ?

Dans mon pays, je vois le cinéma grandir et se développer à tous les niveaux. Je le vois se diversifier de plus en plus en termes de thèmes et de genres. Par contre, je le vois aussi prendre de moins de risques, être moins personnel, en particulier chez les réalisateurs qui réalisent leur premier film. J’ai l’impression que les auteurs en herbe pensent actuellement trop au public ou à quelle plateforme ils vont vendre leur film.

Pour revenir à mon pays, en tant que producteur, je pense qu’aujourd’hui, nous avons plusieurs outils qui nous permettent de financer les différentes étapes de la construction d’un film. Et le fin du fin, c’est que ces outils financiers ne sont pas centralisés dans une seule institution. Ils sont issus de différents ministères et organismes ce qui offre à davantage de projets la possibilité de les obtenir. La stabilité politique et économique que nous avons dans notre petit pays y a grandement contribué.

Crédits photos : Manuel Nieto Zas © Eurozoom

Retrouvez ici notre chronique du film Employé / Patron.

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FICHE DU FILM

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