C’est à l’occasion de sa venue à Paris que nous avons rencontré la réalisatrice mexicaine Lila Avilés. Dans cet entretien, elle nous parle de son second long-métrage, Tótem (sortie 30.10), un petit bijou de cinéma qui aborde avec talent et sensibilité à travers les yeux d’un enfant le thème de la maladie et du deuil. Lila Avilés y esquisse également le portrait d’une grande famille soudée face à la perte de l’un de ses membres.
Dans plusieurs interviews, vous avez déclaré avoir vécu une expérience similaire à celle décrite dans Tótem : le père de votre fille est mort lorsqu’elle était petite. Est-ce cette expérience douloureuse qui vous a poussée à réaliser le film ?
Oui, bien évidemment, ça a été une expérience qui m’a profondément marquée et qui m’a donnée envie de parler sur le sujet, mais l’histoire du film n’est pas celle de ma vie réelle. J’ai fait beaucoup des changements. À l’époque, j’habitais dans un tout petit appartement et pour le film, j’avais besoin de quelque chose de beaucoup plus grand et avec un jardin.
Il y a évidemment des personnages que j’ai inventés, mais ce qui m’intéressait avant tout, c’était de plonger dans l’enfance, dans ces périodes qui deviennent en quelque sorte des apprentissages, des jours au cours desquels quelque chose change pour toujours.
Tótem est raconté du point de vue d’une petite fille de 7 ans, Sol, dont le père est très malade. Comment s’est déroulé le tournage et l’expérience d’explorer le monde du point de vue d’un enfant ?
Les filles (Naíma Senties et Saori Gurza, NDLR) avec lesquelles j’ai travaillé sont merveilleuses. Avant le tournage, j’avais très peur, Wim Wenders et de nombreux cinéastes ont toujours dit : « Ne travaillez jamais avec des animaux, ne travaillez jamais avec des enfants ». Au contraire, les filles ont impulsé une vitalité et une fraîcheur non seulement au film, mais aussi à toute l’équipe.
C’est vrai qu’un tournage peut parfois être laborieux et je ne voulais pas que les deux filles se fatiguent. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour rendre le tournage aussi amusant que possible. Et cela a insufflé une énergie très spéciale. Ça a été un tournage très agréable.
« Chacun a son propre processus, on ne peut pas imposer une
forme de deuil car il n’y a pas une seule façon de vivre le deuil »
Les enfants comprennent mieux qu’on ne le croit les expériences très difficiles de la vie, comme la mort ou la maladie. Qu’en pensez-vous ?
Il faut parfois s’affranchir des étiquettes. Nous avons parfois tendance à penser, en raison de nos propres préjugés ou de nos craintes, que les enfants ne sauront pas comment gérer les moments difficiles, qu’ils ne pourront pas comprendre. Ce que nous faisons, c’est limiter la communication et l’ouverture vers eux et aussi vers les autres.
Je pense que ce qui est beau quand on est enfant, c’est qu’il y a cette recherche et cette conscience qu’il y a certains codes qui nous échappent encore, que nous ne connaissons pas. Et en revanche, il y en a d’autres que nous connaissons déjà depuis tout petit. Pendant l’enfance, nous avons également tendance à être très objectifs et à regarder les choses telles qu’elles sont d’une façon bien différente de celle des adultes.
L’histoire se déroule dans une grande maison où vit une famille nombreuse. Que signifie la famille au Mexique et en Amérique latine et comment avez-vous voulu refléter l’importance de la famille et des liens familiaux dans le film ?
Les êtres humains ont besoin de la communauté. En Amérique latine, les rassemblements et les fêtes entre familles et amis sont très courants et s’organisent facilement. Dans ce type de grandes familles, ce qui est beau, c’est la diversité, mais aussi l’aide et le soutien qui existent entre les différents membres. Une solidarité se crée tout naturellement entre les générations. Par exemple, une grand-mère prodiguera des conseils et un soutien à sa petite-fille lorsque celle-ci en aura besoin. Pour sa part, la grand-mère, si elle tombe malade, sait que sa petite-fille sera toujours là pour l’aider. On pourrait dire que c’est quasiment une question de survie.
Dans le film, les animaux – escargots, insectes… – et la nature dans le jardin sont très importants, que symbolisent-ils ?
Mon idée était de montrer que nous ne sommes pas seuls au monde. Il y a quelque chose que je trouve très beau dans la nature. Il y a une sorte de communication qui s’établit, on voit le soleil, mais le soleil nous voit aussi. Il y a une réflexion, une syntonie. La vie est dans les petites choses et parfois, nous oublions tout cela et d’une certaine façon, nous ne vivons pas le moment présent.
Je ne suis pas anti-technologie, mais avec le téléphone portable et les réseaux sociaux, nous sommes dans une sorte de superficialité. Nous avons tendance à rechercher des choses à l’extérieur alors que la réponse est souvent en nous-même. Je voulais aussi avec ce film aller à l’intérieur, à l’intérieur de cette famille, aller à l’intérieur de chacun de ses membres, ainsi que me situer dans endroit à l’écoute des autres. Dans les moments délicats, un enfant qui observe une fourmi peut se sentir moins seul, faisant partie d’un tout qui avance.
Chaque membre de la famille fait face au deuil et à la maladie d’une manière différente, les deux sœurs, le père ou la bonne. Y a-t-il autant de types de deuil qu’il y a de personnes ?
En effet, chaque personne gère la douleur de manière différente en fonction de sa personnalité, de son âge, de son passé, de ses expériences. Il y a des gens qui pleurent toute la journée, d’autres qui gèrent la douleur et la tristesse plus silencieusement. Chacun a son propre processus, on ne peut pas imposer une forme de deuil car il n’y a pas une seule façon de vivre le deuil.
Pour en revenir à l’enfance et au personnage de Sol, tout cela m’intéressait beaucoup. Les enfants se posent beaucoup de questions existentielles et veulent savoir ce qu’il y a au-delà de la mort. C’est à partir de là que je me suis beaucoup intéressée à l’essence des choses, à la maison, la famille, la nature.
La vie et la mort sont les deux faces d’une même pièce et dans Tótem, cette idée est très présente. La fête que toute la famille prépare pour le malade célèbre le fait qu’ils sont encore en vie, qu’ils sont ensemble, même si la mort rôde…
Les humains ont inventé cette fabuleuse idée de célébrer les anniversaires, ce qui est très agréable et toujours lié à cette l’idée de communauté. La vie est très belle, mais elle peut aussi être très dure et ça vaut la peine de s’investir dans ces jours d’anniversaire et de les fêter avec les gens qu’on j’aime.
Lorsqu’on traverse des périodes de deuil ou qu’on a des problèmes, on a tendance à souvent rester bloqué sur le côté négatif. C’est pour ça qu’il est nécessaire de célébrer le fait d’être en vie. Tout simplement, il faut célébrer la vie, les années qui passent.
Retrouvez ici notre chronique de Tótem de Lila Avilés.
Crédits photo principale : Portrait de Lila Avilés © Limerencia Films