En septembre dernier, nous rencontrions Aurel quelques jours avant la sortie de Josep, son premier long-métrage. Chahutée par la crise sanitaire, sa sortie en salle fut interrompue après quelques semaines d’exploitation. Vous n’avez pas vu Josep ? Rassurez-vous ! Porté par un large bouche à oreille, des critiques élogieuses et des prix prestigieux – dont le César 2021 du meilleur film d’animation – le long-métrage d’Aurel sera de retour dès que les salles obscures rouvriront.


Votre film d’animation Josep, qui retrace la vie du dessinateur républicain Josep Bartolí, sera à l’affiche le 30 septembre. Comment vous est venue l’idée de faire ce film ? 

J’ai découvert le travail de Josep Bartolí par hasard, grâce au livre de son neveu Georges Bartolí, La Retirada, sur l’exil des espagnols et notamment de ses parents. L’ouvrage est illustré de dessins de son oncle Josep. Je suis de suite tombé amoureux de ses dessins. À l’époque, j’étais en train de réaliser un court métrage d’animation et je me suis dit que la vie de Josep pourrait être un très bon sujet pour poursuivre dans cette voie. 

Quel a été le principal défi au moment de faire le film ? Ce n’est pas évident de faire un film sur un dessinateur quand on est soi-même dessinateur… Au départ, je n’avais pas envie de mettre en avant le fait que j’étais dessinateur, mais l’équipe du film et les gens avec lesquels j’en parlais ont fini par me persuader du contraire. Je me suis alors décidé à creuser cette piste du dessinateur qui s’intéresse à un autre dessinateur, mais sans jamais dire que j’animais les dessins de Josep Bartolí. 

En réalité, le plus compliqué, ce n’est pas tant de faire la différence entre les dessins de Bartolí et les miens, sinon d’accepter de mettre mon ressenti de dessinateur dans le film. Ça c’est la première étape à franchir. La seconde tient davantage à la mise en œuvre, il faut travailler avec un grand nombre de personnes et j’ai pour habitude de travailler seul. 

En Espagne et même en France, on parle peu de l’internement des républicains dans des camps. Comment vous y êtes-vous pris pour retranscrire cette horreur ? 

Avec le scénariste, on s’est vraiment plongé dans la documentation. Même si elle n’est pas très riche, il y a quand même beaucoup de photos, de textes et quelques images. Et puis, il y a les dessins de Josep, qui expriment très bien cette horreur. Malheureusement, l’horreur est commune à plein de moments de l’Histoire. 

« Il ne faut pas attendre d’un dessin qu’il change le monde »

Comment avez-vous travaillé le dessin tout au long du film ?

Dès le début, on savait que le film traverserait plusieurs époques. Mais avec le scénariste, nous ne voulions pas donner de notions de lieux et de temps. Il fallait donc que le graphisme donne ces indications. C’est le style du dessin qui indique au spectateur l’époque à laquelle on se trouve. Je me suis donc inspiré de l’évolution stylistique de Josep. Comme lui, j’ai créé des ambiances graphiques, quasiment en noir et blanc au début, puis, plus coloré pour le Mexique. Pour l’époque new-yorkaise, tout comme Josep, une ambiance beaucoup plus colorée et lumineuse, à la limite de l’abstraction. 

Sergi López donne sa voix à Josep Bartolí. C’était une évidence ? 

Non, ce n’était pas une évidence. En réalité, je n’avais pas en tête un acteur précis pour le rôle de Josep. Les gens de la production m’ont parlé de Sergi López, mais je n’imaginais pas sa voix comme celle de Josep car j’avais l’habitude de l’écouter en français… Mais quand j’ai entendu sa voix en espagnol et en catalan, j’ai compris que c’était bien lui, Josep. Sílvia Pérez Cruz incarne Frida et signe également la musique du film. 

Comment s’est déroulée cette collaboration ? 

De manière assez fluide dès le départ. Je connaissais la musique de Sílvia et j’avais envie de mettre une de ses chansons dans le film. Je l’ai rencontrée pour réaliser son portrait pour le journal Le Monde. On a passé deux jours ensemble et très vite, je lui ai proposé de faire la voix de Frida Kahlo et de composer la musique du film. Ça coulait de source. 

Que signifie pour vous le fait d’avoir été labellisé cette année par le festival de Cannes pour ce premier long métrage ? 

Une immense joie ! Je suis très heureux car le prix valide en quelque sorte mes choix artistiques et techniques. Cela m’encourage pour la suite à prendre des risques.  

À l’hure du procès historique des attentats de janvier 2015, on parle énormément de la défense de la liberté d’expression. Pensez-vous qu’un dessin puisse changer les mentalités et faire avancer la société ? 

Je me méfie énormément de tout ce qui met trop de charge sur le dessin. Le dessin, il faut qu’il puisse exister au même titre que toutes les autres formes d’expression. Ni plus ni moins. Si un dessin fait rire ou réfléchir, c’est déjà beaucoup. Mais il ne faut pas attendre d’un dessin qu’il change le monde.

Propos recuellis par : Elena Paz Pérez

Crédits photos : Céline Escolano


FICHE DU FILM


  • Titre original : Josep
  • De : Aurel
  • Avec : Sergi López, David Marsais, Sílvia Pérez Cruz
  • Date de sortie : 28 octobre 2020
  • Durée : 1h 11min
  • Distributeur : Sophie Dulac
  • Sélection officielle Cannes 2020
  • Prix : Meilleur film d’animation European Films Awards 2020, César du meilleur film d’animation 2021