Première femme espagnole à remporter la coquille d’or au festival de Saint-Sébastien, Jaione Camborda fait l’histoire… Nous la retrouvons près de la place de la République, sous l’égide bienveillante de la statue de Marianne, pour parler d’O Corno, un film qui nous plonge dans l’univers féminin de la Galice des années 70 et qui porte au plus haut la solidarité entre femmes.
O Corno est une sorte de fable sur l’univers féminin dans la Galice rurale des années 1970. Le film aborde la maternité, mais aussi la question de l’avortement et de la solidarité entre les femmes. Pouvez-vous nous parler de la genèse du film ?
J’avais en tête ce projet depuis longtemps. J’avais le besoin d’explorer cette capacité à donner la vie ou à ne pas la donner qu’ont les femmes ainsi que toutes les nuances, la gamme de gris qui peuvent accompagner ces situations.
Ce fut une exploration de près de 4 ans. J’ai rapidement réalisé que je voulais traiter la question de l’avortement, explorer la solidarité entre les femmes, la mettre en exergue et montrer comment fonctionnait à l’époque cette société patriarcale dans laquelle on exerçait une oppression sur le corps des femmes et sur leurs choix. D’où l’atmosphère nocturne et clandestine du film.
En même temps, j’ai également recueilli des témoignages de femmes et de personnes ayant vécu cette époque et beaucoup de ces témoignages m’ont inspiré des scènes. Pour moi, il ne s’agit pas d’une histoire réelle, mais d’une histoire composée d’une multitude de petites histoires réelles.
Par exemple, le fait que María, le personnage principal, se déguise en prostituée pour pouvoir passer la frontière est basé sur un fait véridique… Malheureusement…
« Dans le film, le thème de la solitude est très important. D’une certaine façon, le film célèbre le fait de vivre ensemble et de surmonter les épreuves ensemble. »
La solitude des femmes à cette époque était terrible ?
Oui, la solitude et la peur. Un élément important était de transmettre cette peur de tomber enceinte car les conséquences pouvaient être terribles. La société isolait ces femmes, les montrait du doigt, elles étaient complètement ostracisées. Pour moi, il était également important de rendre hommage à toutes ces femmes qui ont pratiqué l’avortement et qui en ont aidé d’autres à se sortir de situations où elles courraient de réels risques.
Dans le film, le thème de la solitude est très important. D’une certaine façon, le film célèbre le fait de vivre ensemble et de surmonter les épreuves ensemble.
Pourquoi avoir choisi Janet Navas, une danseuse contemporaine, pour incarner María, l’héroïne du film ? D’ailleurs, celle-ci a remporté le Goya de la meilleure nouvelle actrice…
Avec le personnage de María, j’avais besoin de revenir à la terre, au corps et à ce que nous avons encore d’animal en nous. J’avais besoin de travailler sur cette vision très physique de l’existence et Janet, qui est une merveilleuse danseuse, m’a toujours fascinée par sa présence et par son travail instinctif sur le mouvement. La danse contemporaine est un travail d’une grande honnêteté avec l’environnement et un art qui dégage beaucoup d’émotion et de vérité.
Au-delà de tout ça, Janet vient d’un hameau de Galice et sait parfaitement ce qu’est la campagne. Sa famille travaille la terre. Elle est très proche du personnage de María.
Finalement, on peut dire que c’est un risque que nous avons pris ensemble car elle sortait manifestement de sa zone de confort. J’étais sûre que ça allait très bien marcher car elle est très talentueuse.
Qu’est-ce qui vous a amené à tourner la première partie d’O Corno sur l’île d’Arousa ?
L’île d’Arousa a été présente depuis le début du projet. C’est un lieu très inspirant où j’avais l’habitude d’aller en vacances l’été. Elle m’a toujours impressionnée. On y trouve d’immenses fougères, presque aussi hautes qu’un être humain. Lorsque vous marchez sur l’île, vous faites partie d’une nature imposante. Cette idée m’intéressait pour le film. Et aussi toutes ces pêcheuses de coquillages qui font partie du paysage de cette région. La mer s’éloigne, mais elles restent ancrées dans le paysage, les mains enfoncées dans la boue.
Pour ce film, vous avez travaillé avec le célèbre directeur de la photographie portugais Rui Poças. Quels ont été les défis en termes de photographie ?
C’est un film simple en apparence, mais assez complexe à filmer en réalité. Par exemple, les scènes de nuit constituaient un véritable défi créatif. Il y a de nombreuses scènes de nuit dans la nature. Nous devions d’une part trouver de la vraisemblance et d’autre part trouver la lumière. Rui dit toujours qu’il éclaire pour les ombres. C’est précisément sur ce terrain que le film évolue, dans ce qui ne se voit pas, ce qui est intuitif, dans l’hors-champ.
Un autre élément dont nous avons beaucoup parlé et qui, pour moi, était essentiel, est la distance à laquelle on filmait les corps, les personnages et comment effectuer les mouvements de caméra.
Par rapport à ça, je ne souhaitais pas de cieux mais plutôt des personnages attachés à la terre. Nous avons également beaucoup travaillé sur les robes, en termes de couleurs et de textures, pour qu’elles se fondent dans la nature et l’environnement alentour.
Que signifie O Corno et pourquoi avez-vous choisi ce titre ?
O Corno est le champignon qui pousse sur le seigle. En Galice, il est très connu car il y a beaucoup de commerce autour de lui. On le trouve à la base de nombreux médicaments. Autrefois, il était également utilisé pour faciliter l’accouchement car il accélérait les contractions. Mais il était aussi utilisé pour les avortements clandestins.
J’ai également souhaité que le titre fasse référence aux cornes des animaux. Des cornes qui servent à se défendre et à attaquer et qui nous rappellent les mammifères et les vaches qui sont un élément visuel important du film.
Qu’a signifié pour vous de remporter la Coquille d’or au Festival de Saint-Sébastien ?
Ce fut un moment très émouvant tant à un niveau personnel que professionnel. Je suis originaire de Saint-Sébastien, j’ai grandi dans cette ville et j’ai découvert le cinéma dans ce festival. Recevoir ce prix avec un film en galicien, c’était comme une boucle qui se fermait. Je ne pouvais pas imaginer mieux !
La coquille d’or nous a permis de donner une visibilité au film et de le diffuser dans de nombreuses salles. Et ce prix va me permettre de me lancer dans mon troisième film avec encore plus de liberté, ce qui n’est jamais gagné d’avance.
Retrouvez ici notre chronique du film O Corno.
Crédits photo principale : Jaione Camborda © Epicentre Films