Après Waters Lilies of Monet : The Magic of Water and Light, Giovanni Troilo se plonge dans l’univers de la peintre mexicaine Frida Kahlo. Dans cet entretien, le photographe et réalisateur italien revient sur le tournage de Frida. Viva la vida, un passionnant documentaire autour de la vie et l’œuvre de l’artiste de Coyoacán. Avec ce film, Troilo dresse le portrait d’une femme marquée par la souffrance, très attachée à la culture mexicaine, et surtout, d’une artiste hors-norme.
Frida. Viva la vida est le titre de votre documentaire sur Frida Kahlo et c’est aussi le titre de la dernière toile que la peintre mexicaine a tout juste fini quelques jours avant sa mort. Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Ce qui se cache derrière Frida Kahlo, c’est une sorte de nihilisme actif, qui est aussi lié à son permanent esprit de résistance.
La douleur la légitime en tant qu’icône, en tant que symbole d’endurance et d’espoir face à la vie. Comme le dirait Frida elle-même, elle a survécu à la vie. Je crois que c’est le message le plus puissant qu’elle nous a laissé.
D’où vient votre intérêt pour Frida Kahlo ?
Frida a construit avec beaucoup de talent sa propre icône. Elle n’a pas permis aux autres de la représenter, mais s’est représentée elle-même et s’est ainsi livrée à la postérité. Cette image d’elle, cette éternelle épiphanie, toujours la même mais toujours différente, m’a poursuivi et quelque part continue de nous poursuivre tous. Le travail approfondi réalisé sur ce documentaire est l’occasion de s’immerger dans le monde complexe qui se cache derrière l’icône, nous permettant de découvrir l’artiste, la femme et son pays, le Mexique.
« C’est la relation profonde entre l’art et la douleur qui rapproche Frida de chacun de nous… »
Dans le documentaire, vous explorez l’artiste, mais aussi l’être humain. Dès le départ, était-il évident pour vous de mettre en avant ces deux facettes de Frida Kahlo ?
Parmi les mille manières possibles de représenter Frida, nous en avons choisi au moins deux : Frida et la douleur, Frida et l’art. Celles-ci sont liées comme les deux parties d’un même tout. Nous les voyons représentées dans sa peinture, Les Deux Fridas. L’une donne de l’énergie et de la nourriture à l’autre et inversement.
L’art de Frida commence avec son accident, et son immobilité n’a d’autre issue que l’art. Frida a utilisé son art pour faire face au deuil, pour faire face à la perte d’intégrité, aux accidents émotionnels ou physiques et comme médicament pour apaiser la douleur qui ne peut jamais être guérie.
Il y a une histoire dans son journal intime qui pourrait être soit un souvenir d’une rêverie enfantine, soit ce moment épique dans l’univers de Frida, cet instant où l’origine des deux Fridas a été consciemment établie… La structure du film est basée sur cela.
Plusieurs chefs-d’œuvre de Frida Kahlo, tels que Las dos Fridas (1939) ou La colonne brisée (1944) sont expliqués dans le film. Comment avez-vous préparé cette partie du documentaire ? Quels experts vous ont aidé à déchiffrer ses peintures ?
Parmi les nombreux ouvrages consacrés à l’artiste mexicaine, celles de Hayden Herrera, Luis Roberto Vera, Carlos Fuentes et Sarah M. Lowe ont été très significatifs. Mais la plus grande contribution est venue de Hilda Trujillo Soto, ex-directrice du Musée Frida Kahlo, qui a participé au documentaire en nous accueillant à Casa Azul et en nous donnant un accès privilégié à sa vie et à son art.
Dans Frida. Viva la vida, des effets personnels et des photos inédites de Frida Kahlo sont dévoilés pour la première fois au public. Qu’est-ce que ça fait de voir des objets aussi intimes de si près ?
Je pense qu’Hilda a parfaitement décrit dans les premières minutes du film ce que l’on ressent en voyant ces objets et ces photos très personnels. Ce genre d’accès est si direct, si immédiat, que pendant un instant, on a quasiment l’impression d’envahir son intimité.
Et puis, on réalise que Frida avait en quelque sorte tout prévu et tout arrangé. Alors qu’Hilda nous montrait une miniature de Casa Azul que Frida avait préparée avec beaucoup de soin, avec une petite touche de son ironie classique, elle a trouvé une note microscopique écrite par Frida : « Viva la Paz ! » dans un petit tiroir de quelques millimètres de large. Elle nous parlait déjà : c’est peut-être ce qui rend aujourd’hui si solide et profonde la relation entre le public et cette artiste extraordinaire.
Frida Kahlo est une artiste peintre qui renoue avec l’univers préhispanique en l’incorporant à ses toiles et parle librement de sa douleur et de ses sentiments. D’où pensez-vous que vienne son succès ?
Avec encore une petite anecdote, je vais répondre à votre question. Grande photographe mexicaine, Graciela Iturbide, dont le travail sur le Mexique s’étend sur près de cinquante ans, a eu l’occasion de photographier les objets de douleur de Frida qui étaient enfermés dans sa maison depuis un demi-siècle. Au cours d’un travail sur les migrants en partance pour les États-Unis, Graciela a reçu un cadeau de l’un d’eux. Il s’agissait d’une carte sainte montrant l’icône de sainte Frida fusionnée avec l’image de la Vierge de Guadalupe, patronne et protectrice des migrants au cours de leurs longs voyages.
Je pense que c’est la relation profonde entre l’art et la douleur qui rapproche Frida de chacun de nous, ainsi que son panthéisme instinctif, sa capacité à tout fusionner et à tout inclure, en le célébrant.
En plus d’être réalisateur, vous êtes également photographe. La photographie vous a-t-elle conduit au cinéma ou vice versa ?
C’est la photographie qui m’a conduit au cinéma, mais c’est aussi une relation profondément symbiotique et une expérience enrichissante des deux côtés.
Quels sont vos prochains projets ?
Je viens de terminer le montage de Vésuve, un film documentaire tourné à Naples à paraître prochainement sur la relation entre les hommes et les volcans. Et je travaille actuellement sur un nouveau projet sur l’architecte Francesco Borromini, qui, je l’espère, sortira aussi bientôt sur grand et petit écran.
Retrouvez ici notre chronique de Frida. Viva la vida.
FICHE DU FILM
- Titre original : Frida. Viva la vida.
- De : Giovanni Troilo
- Avec : Asia Argento
- Date de sortie : 24 novembre 2021
- Durée : 1h38
- Distributeur : Eurozoom