À l’occasion de la sortie au cinéma de L’oubli que nous serons, nous avons rencontré Fernando Trueba. Le réalisateur madrilène revient sur le tournage de ce film humaniste dans lequel il dresse le portrait sincère et touchant d’un médecin à l’engagement sans faille et de sa famille dans la tumultueuse Colombie des années 80.
L’oubli que nous serons est inspiré du roman éponyme d’Héctor Abad Faciolince, considéré comme un des chefs-d’œuvre de la littérature hispanophone. Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué dans ce livre ?
Tout d’abord, j’ai lu le roman sans l’analyser, comme un lecteur normal, en me laissant embarquer par les sentiments et l’émotion de l’histoire. Ce livre m’a énormément touché.
Des années après, quand le projet du film se précisait, j’ai abordé la lecture d’une manière bien différente. D’abord comme le témoignage à la première personne d’un fils et de sa relation avec son père et sa famille dans la Colombie des années 80, mais aussi comme l’histoire d’amour d’un fils qui a perdu son père. En dépit de son titre, le fils, Héctor Abad Faciolince, a écrit L’oubli que nous serons pour justement lutter contre l’oubli.
J’ai été particulièrement touché par cette histoire d’amour et ces souvenirs d’une enfance perdue… Mais aussi de ce bonheur perdu. Un bonheur que, la plupart du temps, on ne valorise qu’une fois qu’il a complètement disparu de nos vies.
Quels ont été les principaux défis à l’heure d’adapter le livre ?
Mon frère David a été en charge de l’adaptation. Il est lui-même réalisateur mais aussi romancier et scénariste. Il a déjà montré toute l’étendue de son savoir-faire en tant qu’écrivain avec le scénario de Soldados de Salamina.
« Héctor Abad Faciolince a écrit L’oubli que nous serons pour justement lutter contre l’oubli »
Au préalable, nous nous sommes mis d’accord sur certains points, comme par exemple le fait de concentrer l’histoire en deux moments précis. Mais l’adaptation cinématographique, c’est David qui l’a faite. Il a su reproduire dans le scénario toute la charge littéraire du roman. C’est une réussite.
Et puis, au cours du tournage et du montage, j’ai aussi effectué quelques changements car un film et un scénario sont toujours en perpétuelle mutation jusqu’à la toute fin.
C’est la seconde fois que vous travaillez avec Javier Cámara. Vous avez pensé à lui dès le départ pour incarner le docteur Héctor Abad ?
Oui, depuis le début, effectivement. Héctor Abad Faciolince et moi avons pensé à lui chacun de notre côté. Ceci dit, nous avions aussi tout deux pensé que l’acteur devait être colombien. Mais au final, Javier Cámara s’est imposé pour des raisons évidentes, quoi que différentes.
Pour Héctor Abad Faciolince, il y avait une ressemblance physique saisissante entre Javier Cámara et son père. Et pour moi, le fait d’avoir déjà travaillé avec Javier me permettait de savoir qu’il avait en lui cette sorte de joie naturelle, pleine d’exubérance, qui était complètement nécessaire au personnage.
Nous avions d’ailleurs commencé un casting avec des acteurs colombiens mais nous avons rapidement décidé de revenir à l’idée de Javier.
Comment s’est déroulé le tournage en Colombie avec ce magnifique éventail d’acteurs colombiens ?
Une merveille ! Le tournage fut idyllique, avec un équipe formidable. Les acteurs ont été extraordinaires. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec eux ainsi qu’avec les enfants. J’ai pu constater que le niveau des acteurs en Colombie est énorme. Patricia Tamayo, qui incarne la mère, est une excellente actrice, de même que Juan Pablo Urrego qui interprète le fils à l’âge adulte. Je peux dire exactement la même chose de toutes les actrices qui ont incarné les rôles des sœurs.
Pour moi, ce fut un réel plaisir de recréer avec eux la vie chaleureuse de cette famille si attachante.
Le docteur Abad est un homme honnête, une personne qui a des valeurs, un père aimé et aimant, mais aussi et surtout un médecin engagé. Pourquoi de nos jours voit-on de moins en moins ce genre d’histoires au cinéma ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas sociologue, mais je pense que les gens sont bien trop fascinés par le côté obscur de l’être humain. Surtout, ces histoires qui racontent le changement d’un homme bon qui devient mauvais, dans une sorte de Breaking bad permanent incluant des justifications toutes faites sur une telle destinée.
Bien entendu, ce type de personnage peut être intéressant, mais je pense que nous sommes arrivés à un point de saturation. Je ne veux pas dire par là qu’il ne faut pas aller voir Hannibal Lecter au cinéma, mais parfois, il serait quand même nécessaire d’aller voir quelqu’un de plus d’humain, de plus intègre et qui a des valeurs.
Vous avez gagné l’Oscar du meilleur film étranger pour Belle Epoque. Qu’avez-vous ressenti ce jour-là ?
Personnellement, j’ai le vertige et je ne monterai jamais sur des montagnes russes. Mais ce jour-là, justement, je me suis senti comme sur des montagnes russes ! Pour moi, c’était à la fois un moment unique et amusant. Parfois, il t’arrive des choses absurdes, des choses qui ne devraient jamais arriver dans une vie.
J’ai eu l’occasion de dédicacer le prix à Billy Wilder. C’est quelqu’un qui est pour moi un vrai maestro du cinéma. Puis, en sortant avec mon prix, je me suis littéralement cogné dans Bruce Springsteen qui allait chanter sur scène. En me dirigeant vers la presse, Clint Eastwood m’a donné une grande accolade et m’a félicité chaleureusement. J’ai ensuite pris l’ascenseur et je me suis retrouvé face à Paul Newman qui avait également gagné un Oscar. J’étais tellement dans mes pensées que je suis resté là, sans rien dire, et c’est Paul Newman qui a rompu la glace en me félicitant. Cette succession d’anecdotes, on ne peut les vivre qu’en gagnant un Oscar.
Vous avez mentionné Billy Wilder, le grand cinéaste américain. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans son travail cinématographique ?
Pour moi, Billy Wilder est le maître de l’intelligence et de l’humour au cinéma. La construction de ses scenarii, la structure de l’histoire et les dialogues de ses personnages touchent la perfection. Il y a des réalisateurs qui ont produit des plans plus spectaculaires, comme Orson Welles ou Marx Ophüls, mais les scénarii de Billy Wilder sont tout simplement uniques. Il est le grand architecte du cinéma.
Que diriez-vous à un jeune qui souhaite entamer une carrière de réalisateur ?
Je ne sais pas ce que je dirais, mais je pense que si on n’aime pas le cinéma d’une manière absolue, on ne peut pas faire de films. C’est cet amour immense qui peut légitimer quelqu’un à se mettre derrière une caméra.
Nous sortons tout juste d’une période de confinement très dure. Qu’est-ce qui vous a le plus manqué ?
Aller au cinéma, les réunions et les dîners entre amis, mais surtout, ne pas pourvoir embrasser les gens qu’on aime.
Retrouvez ici notre chronique de L’oubli que nous serons.
FICHE DU FILM
- Titre original : L’oubli que nous serons
- De : Fernando Trueba
- Avec : Javier Cámara, Nicolás Reyes, Juan Pablo Urrego
- Date de sortie : 9 juin 2021
- Durée : 1h 75 min
- Distributeur : Nour Films
- Sélection officielle Cannes 2020
- Prix : Goya au meilleur film hispano-américain 2021