Á l’occasion de la sortie d’Un varónnous avons rencontré le réalisateur colombien Fabián Hernández. Avec cet opera prima, il délivre un film coup de poing sur la violence des quartiers défavorisés de Bogotá ainsi que sur une certaine idée de la masculinité toxique, intimement liée à cette représentation de la violence. Dans cette interview, il évoque la genèse du film, le déroulement du tournage et expose sa vision du nouveau cinéma colombien.


Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre film ?

J’ai grandi entre les quartiers de Los Martires et Santa Fe au centre de Bogotá. Je faisais partie de groupes, de bandes de rue de ces quartiers. La plupart des situations qui apparaissent dans le film sont des situations que j’ai vécues. À l’époque, avec mon frère, nous répondions à tous les critères d’une masculinité très codifiée. Elle imprégnait nos gestes, notre façon de nous habiller, de parler, de nous battre.

Ça a été vraiment difficile pour moi de regarder en arrière et de parler de mon passé. Finalement, je l’ai fait à travers ce film. Un jour, après un événement très violent qui a marqué à jamais ma vie, j’ai décidé de commencer à écrire. On peut dire que le film vient de là.

Dans Un varón, vous traitez de la violence des quartiers, mais vous explorez aussi et surtout une certaine idée de la masculinité toxique, étroitement liée au crime et à cette même violence…

Je voulais aborder la question de la masculinité, mais en laissant de côté tous les clichés et les stéréotypes que la plupart des films latino-américains nous offrent. Pour moi, il était important d’analyser la violence de façon plus subtile et profonde et de ne pas seulement me contenter de représenter des enfants pauvres et des mâles sauvages.

En réfléchissant sur ce point, les notions de thanatopolitique et de nécropolitique de Michel Foucault m’ont tout de suite interpelé. Elles décrivent à la perfection quelque chose qui se passe dans les quartiers : les hommes doivent montrer qu’ils ont le contrôle d’autres corps pour être souverains et on est souverain quand on détient le pouvoir de tuer. Ce pouvoir de tuer rend les garçons plus machos, plus masculins…

« La plupart des situations qui apparaissent dans le film sont des situations que j’ai vécues »

Le film commence comme un documentaire, mais se transforme rapidement en fiction. Était-ce une façon pour vous de donner encore plus de réalisme à l’histoire ?

Dans presque tout ce que je filme, il y a un fort écho de la réalité sociale dans laquelle je vis. Pour moi, faire des films est un engagement social qui me permet de mettre en lumière certains aspects de la réalité à laquelle j’assiste. Je dois dire que je ne le fais pas d’une manière purement esthétique, stylistique ou quelque chose comme ça. Je filme des choses que je connais, que j’ai vécues ou que j’étudie en profondeur. Évidemment, je me laisse influencer par les circonstances et par la réalité qui m’entoure.

Dès le début, avec mon producteur, nous avons travaillé le film dans ce sens. J’ai écrit quelques dialogues, mais j’ai toujours été très ouvert aux propositions de la vie de plateau, aux idées des acteurs, à l’improvisation. L’improvisation ne veut pas dire qu’on arrive sans idées sur un plateau. Au contraire, c’est justement analyser la réalité des choses pour leur donner une marge de liberté. C’est le cas, par exemple, avec le langage des acteurs. Il est très vivant et je n’ai pas souhaité le limiter. J’ai essayé de réaliser un filtre très honnête, en travaillant à partir d’émotions viscérales, sans trop intellectualiser les choses…

Le protagoniste principal du film, Carlos, sur qui repose une grande partie de l’histoire, est un garçon endurci mais qui, en même temps, possède un côté fragile, quasi féminin. Comment s’est déroulé le casting pour ce personnage ?

Le casting s’est déroulé littéralement avec les garçons des rues du quartier. Pour Felipe, le rôle principal, je l’ai trouvé lors d’un concert de break dance. Le break dance est une discipline que je connais bien et que j’ai déjà pratiqué par le passé. La plupart du casting vient du break danse. Ces sont des garçons qui aiment la danse, le mouvement avec le corps et donc, en quelque sorte, ils savent déjà interpréter.

Pipe, le rôle principal, a été pour moi une révélation. Sa présence au centre d’un groupe d’hommes a tout de suite capté mon attention. Nous sommes devenus des amis. On a beaucoup parlé et une confiance est née qui a finalement permis à Pipe d’apporter ses connaissances et son talent à la création du personnage de Carlos. Pipe est un excellent comédien, avec un niveau de synthèse et d’écoute très important qui lui permet de comprendre les situations et de les résoudre de manière convaincante.

Comment les gens du quartier vous ont-ils accueilli pendant le tournage ?

Le film montre plusieurs quartiers dans lesquels j’ai passé une partie de mon enfance et de mon adolescence. D’ailleurs, je continue de m’y rendre régulièrement pour rendre visite à mes parents. Le quartier a été déterminant dans ma vie. C’est cet environnement qui a inspiré le film. C’est ici où je me suis battu, que j’ai joué au foot, que j’ai voulu devenir un homme, que j’ai commis des vols et où j’ai été agressé. J’ai filmé des rues et des lieux que je connais très bien, le travail de terrain était très précis et cela m’a beaucoup aidé. 

En même temps, j’ai ressenti une grande nostalgie, une émotion très forte s’est emparée de moi pendant le tournage. Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, je filmerais mon propre quartier…

Quant aux habitants, ils ont aidé à créer un environnement favorable au tournage. Il n’y a pas eu besoin de la police pour nous protéger, ni de militaires, ni même de sécurité privée. Les voisins nous ont permis de faire notre travail dans de bonnes conditions.

Quel regard portez-vous sur le nouveau cinéma colombien ?

C’est un cinéma en constante évolution. Je pense que nous avons encore beaucoup à apprendre sur nous-mêmes, sur notre façon d’analyser notre histoire et de nous représenter. Je crois qu’au-delà de produire des films techniquement plus aboutis, d’aspirer à une industrie plus compétitive ou d’aller dans de grands festivals, nous, cinéastes, pouvons aider à construire des valeurs basées sur les notions de diversité, d’inclusion et d’un avenir possible pour tous.

Retrouvez ici notre chronique du film Un varón.

Crédits photos : portrait Fabián Hernández © Destiny Films


FICHE DU FILM


Affiche Un varón de Fabián Hernández (2023)
  • Titre du film : Un varón
  • De : Fabián Hernández
  • Date de sortie : le 15 mars 2023
  • Durée : 1h22
  • Distributeur : Destiny Films