Présenté l’an passé à Sundance et à la Berlinale, Heroico, seconde réalisation de David Zonana, est un puissant récit sur les abus et les violences au sein de l’armée mexicaine. Le film suit le parcours de Luis, un jeune d’origine indigène interprété par l’ancien cadet Santiago Sandoval, qui voit dans l’armée son unique chance de prospérer et d’aider sa mère diabétique à payer son traitement grâce à l’assurance maladie à laquelle chaque famille d’élève a le droit.    


Comment l’idée de réaliser Heroico vous est-elle venue ?

L’idée est née de la nécessité de parler de la violence dans le pays. Et de le faire non seulement en surface, mais aussi en analysant les causes profondes qui nous ont amenés à vivre dans un pays où sévit une épidémie de violence comme celle que nous vivons actuellement. Il est très difficile de parler de cette violence sans parler de l’armée mexicaine, car je pense qu’elle joue un rôle important dans cette problématique.   

« Le scénario est basé sur des histoires réelles d’anciens cadets »

A-t-il été difficile pour vous d’obtenir des témoignages de jeunes ayant vécu des situations de violence similaires ?

Oui, ça a été difficile de trouver des jeunes qui étaient passés par l’armée et qui, en même temps, étaient prêts à parler de leur expérience. Pour autant, ça n’a pas été compliqué de trouver des jeunes qui avaient vécu ce genre de situations… Il y a un dénominateur commun à tous ces jeunes : ils ont tous malheureusement vécu des expériences liées à la violence. Ça a été un travail de recherche ardu. Nous avons au final interrogé une cinquantaine de jeunes. Le scénario est basé sur des histoires réelles d’anciens cadets. Pour moi, il était très important que le film s’inspire d’événements réels.

Le film est tourné dans une ancienne cité aztèque, qu’est-ce que ce lieu apporte à l’histoire ?

En réalité, ce n’est pas une ancienne cité aztèque, sinon le centre cérémonial Otomi, construit dans les années 80 pour rendre hommage à l’une des plus anciennes cultures du Mexique, les Otomi.  C’est un monument de grande dimension, inspiré de l’architecture du Mexique préhispanique. Ce lieu possède de grandes similitudes avec le Herocio Colegio Militar où sont formés les futurs officiers de l’armée. Avec la production et le département design, nous avons fait tout notre possible pour qu’il prenne les traits d’une caserne militaire.   

La photographie dHeroico présente de nombreuses symétries et une grande profondeur de champ. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?

Dès le début du projet, la photographe et moi-même avons réfléchi à la nécessité de donner de la profondeur et de la symétrie aux images. Il était très important de comprendre l’ampleur de l’institution et tout ce qu’elle représente par opposition à l’individu. À travers les images, nous voulions montrer ce lieu dans toute sa majesté, mais aussi évoquer toute la claustrophobie qu’il peut exercer sur les jeunes cadets.

Le sergent Eugenio Sierra semble tout droit sorti de Full Metal Jacket. Avez-vous été inspiré par le film de Kubrick ou par d’autres films sur la guerre ou l’armée ?

Je me suis inspiré de nombreux films de guerre et évidemment, je me suis aussi inspiré de Full Metal Jacket. C’est un film que tout réalisateur intéressé par les thèmes militaires prendra comme référence.  Quant à l’instructeur, le sergent Hartman de Kubrick, pour moi, c’est un personnage qui n’a grand-chose en commun avec le sergent Sierra. Hartman est beaucoup plus énergique et bruyant. À l’inverse, le sergent Sierra est un type sombre et silencieux qui exerce son pouvoir de manière plus sournoise.

Dans votre premier film, Mano de Obra, vous abordez également des questions sociales telles que l’exploitation au travail, les inégalités ou la pauvreté… Le cinéma est-il un moyen pour vous de dépeindre la société mexicaine ?

Je crois que le cinéma est le moyen de dépeindre toute réalité qu’un réalisateur souhaite exprimer ou partager. Dans mon cas, vivant au Mexique et en étant témoin de ce que traverse le pays, j’ai toujours été intéressé par les questions sociales et les difficultés politiques et économiques. C’est pour cette raison que mon premier film, Mano de Obra, s’inscrivait aussi dans cette lignée, mais cela ne signifie pas que nous devons toujours faire les mêmes films. Ce qu’il y a de beau dans le cinéma, c’est qu’il y a une diversité d’intérêts. Le cinéma n’a pas besoin d’aborder ces types de sujets pour être légitime.

La violence existe dans de nombreuses régions du monde, mais le Mexique connaît un niveau de violence particulièrement élevé, qui touche l’ensemble des couches de la société. Comment vivez-vous cette situation en tant que citoyen Mexicain ?

Malheureusement, la violence est un problème universel, pas seulement propre au Mexique. Je pense qu’elle nous affecte tous, dans toutes les parties du monde. Pour moi, la violence est une condition naturelle, je ne pense pas qu’elle puisse être éradiquée. Elle fait partie de la nature animale, de la nature humaine. En tant qu’êtres vivants, nous aurons toujours une relation étroite avec la violence.

Cependant, je pense que nous devrions en parler et travailler pour que cette violence n’échappe pas à tout contrôle, qu’elle ne devienne pas cruelle et insensée. Au Mexique, ce type de violence est très répandu et il est important que la société apprenne non seulement à vivre avec, mais aussi à dialoguer, à prendre des initiatives et, surtout, à exiger du gouvernement et des différents secteurs de la société qu’ils s’attaquent à ce problème, non seulement en surface, mais aussi à la racine. Il est assez facile de voir qu’à la racine de ce mal se trouvent le manque d’opportunités, les difficultés sociales et la marginalisation.

Au Mexique, nous voulons tous que les conditions s’améliorent, non seulement au niveau individuel, mais aussi pour tous les Mexicains, car nous faisons partie de la même équipe.

Retrouvez ici notre chronique du film Heroico

Crédits photo principale : David Zonana © Paname Distribution