Alors que les arbres commencent timidement à bourgeonner et que Paris attend la venue d’un printemps qui se fait désirer, la réalisatrice chilienne Claudia Huaiquimilla, entre deux avant-premières, a trouvé un moment pour répondre à nos questions sur son dernier long métrage, Mis hermanos. Un film qui aborde une effroyable tragédie presque oubliée de tous au Chili concernant des mineurs dans un centre de détention.
Votre second long métrage, Mis hermanos (en salle actuellement), est inspiré de la tragédie qui s’est produite au centre de détention pour mineurs de Puerto Montt en 2007. Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qui s’est passé ce jour-là ?
En 2007, au Chili, un groupe de 10 jeunes a déclenché une émeute dans une prison pour mineurs afin de réclamer de meilleures conditions de détention, tout en espérant que l’arrivée des pompiers et l’ouverture des portes leur permettrait de s’évader.
Mais la situation est devenue incontrôlable et ils sont tous morts dans l’incendie. Cette situation et d’autres similaires se sont répétées dans différents centres et pourtant, rien n’a été fait pour réparer ce qui est arrivé à ces garçons, ni pour améliorer les conditions de détention des mineurs dans mon pays qui sont terribles.
Lors de vos visites dans ces centres de détention, qu’est-ce qui vous a le plus touché et que vous avez jugé nécessaire de transcrire dans votre film ?
Je pense que l’une des choses qui m’a le plus marqué est le fait qu’il n’y avait pas d’activités, pas de cours ou quoi que ce soit qui puisse offrir des routines d’adolescents normaux. C’était comme si leur vie avait été mise en suspens et qu’on leur avait imposé une sorte d’exil, très semblable à celui des prisons pour adultes. C’est comme si leurs droits et leur identité étaient totalement bafoués. Ils sont traités comme des numéros et non comme des individus.
« Je crois que ce film cherche à laisser un témoignage sur un événement tragique qui semble avoir été effacé de la mémoire de notre pays »
Malgré tout cela, ce qui m’a le plus surpris, c’est la résilience de ces enfants, qui cherchent des moyens pour maintenir leur identité, leur humanité. Et puis, il y avait aussi cette capacité à essayer de tisser des liens entre eux, à élaborer un langage alternatif à celui des adultes pour communiquer entre eux.
Il m’a semblé important de transmettre leurs voix, car ils sont invisibles, réduits au silence. Tout naturellement, les témoignages des enfants que j’ai eu l’occasion de rencontrer font partie du scénario du film.
Dans votre film, on voit des situations désespérées de mineurs qui n’ont pas été jugés et qui attendent depuis des années de passer devant un juge, ou de frères séparés, comme les deux protagonistes du film. Comment est née l’idée de faire peser le poids du récit sur ces deux frères ?
Tout d’abord, parce qu’au moment où j’ai entendu parler de cette affaire, j’ai été très choquée que cette tragédie ne soit pas connue dans tout le Chili. Ensuite, parce que lorsque j’ai enquêté sur les faits, il s’agissait bien de deux frères, l’un avait 14 ans et l’autre 16, soit la même différence d’âge que mon jeune frère et moi.
A partir de ce moment-là, j’ai commencé à imaginer ce qu’aurait été notre vie si nous avions vécu une situation similaire à celle de ces garçons. J’ai imaginé comment le frère aîné aurait essayé de prendre soin du plus jeune, de créer une sphère de normalité, dans la mesure du possible. Et comment on peut même trahir ce que l’on pense pour essayer de protéger quelqu’un qu’on aime. L’histoire de ces deux frères m’a donné le point de vue du film.
Comme on peut le voir dans votre film, le rôle des éducateurs, parfois impuissants face à la négligence de l’État, est fondamental dans les centres. La grande actrice Paulina García incarne l’un d’entre eux. Qu’avez-vous ressenti en travaillant avec elle pour ce rôle ?
La collaboration avec Paulina a été merveilleuse. Ce n’est pas seulement une grande actrice, c’est aussi une militante politique très importante pour le Chili. Paulina aime travailler avec de jeunes réalisateurs. Elle s’intéresse tout particulièrement aux projets sociaux qui montrent la réalité de notre pays.
C’est une actrice très ouverte d’esprit quand il s’agit de travailler avec des acteurs non professionnels. En ce sens, elle a été d’un grand soutien pour tous les autres acteurs non professionnels. En bref, Paulina est une excellente partenaire de travail.
Pour l’anecdote, je dois dire que nous ne nous sommes pas rencontrés au Chili, mais en France, à l’occasion du festival du film de Toulouse. Elle m’a avoué qu’elle avait beaucoup aimé mon premier film et qu’elle serait intéressée de travailler avec moi. Suite à cette rencontre, j’ai osé lui présenter ce projet.
Comment pensez-vous que ce film puisse contribuer au débat sur la délinquance juvénile au Chili ? Et comment peut-il améliorer les conditions dans les centres de détention ?
L’autre jour, Carmen Castillo, éminente cinéaste chilienne, disait lors d’une avant-première que le cinéma ne change pas le monde, mais qu’il nous permet de réfléchir. Je crois que ce film ne cherche pas à résoudre dès à présent cette situation, mais plutôt à laisser un témoignage sur cet événement tragique qui semble avoir été effacé de la mémoire de notre pays.
Au Chili, il y a des vies qui ont plus de valeur que d’autres et il semblerait que la vie des enfants pauvres n’ait aucune valeur. Ce film tente de témoigner, de donner la parole à ces voix que nous avons perdues. En tant que société, il est important de vivre ce deuil et de ne pas le répéter à l’avenir.
Retrouvez ici notre article sur Mis hermanos.
FICHE DE L’ÉVÉNEMENT
- Titre original : Mis hermanos sueñan despiertos
- De : Claudia Huaiquimilla
- Avec : Ivan Cáceres, César Herrera, Paulina García
- Date de sortie : 13 mars 2024
- Durée : 1h 25 min
- Distributeur : JHR Films