Elle nous reçoit avec beaucoup d’amabilité et de chaleur dans cette petite portion du Costa Rica qu’est l’Ambassade à Paris. On y découvre une jeune femme animée d’une grande curiosité et d’un profond intérêt pour les histoires de ses ainées. À l’image de son film, Antonella Sudasassi Furnis est une femme audacieuse qui explore des chemins rarement empruntés. Mémoires d’un corps brûlant aborde ainsi un sujet largement méconnu, la sexualité des femmes âgées.
Dans votre premier long métrage, The Awakening of the Ants, vous vous plongiez dans l’enfance et la découverte de la sexualité. Avec Mémoires d’un corps brûlant, vous vous intéressez à la sexualité des femmes âgées. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans ce nouveau projet ?
Ce film est né presque organiquement après la réalisation de mon premier long métrage. J’avais déjà en tête le projet de développer des histoires sur les femmes et leur sexualité aux différentes étapes de la vie et Mémoires d’un corps brûlant est l’aboutissement de ce processus artistique.
En fait, j’ai commencé à parler à ma grand-mère paternelle, elle était très âgée à l’époque et je n’ai pas pu aller très loin, alors j’ai me suis tourné vers d’autres femmes d’un certain âge. C’est à partir de ces conversations que le film a vu le jour.
L’enquête a duré environ trois ans. Puis s’en est suivie une année entière d’écriture. Finalement, huit voix de femmes différentes sont représentées dans le film. Il a ensuite fallu également du temps pour trouver le fil conducteur du film en rassemblant toutes ces histoires.
A-t-il été difficile d’obtenir les témoignages de ces femmes qui se confient sur leur intimité, en vous racontant parfois des expériences très difficiles ?
La vie sexuelle des femmes âgées reste un grand tabou. Passé un certain âge, nous avons tendance à croire que les femmes autour de nous, nos mères ou nos grands-mères sont en quelque sorte sanctifiées, nous ne pouvons pas les imaginer comme des femmes capables de désirer, de ressentir, de rechercher l’amour, le plaisir ou l’affection. Je voulais rendre visible cette question.
Trouver ces femmes a été un long processus, car dès le départ, je voulais parler à des femmes issues de classes sociales et de contextes très différents. Et ce que j’ai découvert en cours de route, c’est qu’en dépit des différents contextes, il y avait une expérience de vie commune qui s’entremêlait, une intersection commune entre elles. J’ai rencontré des femmes appartenant à un milieu privilégié, mais aussi des femmes de milieux plus modestes. Il y avait même l’une d’entre elles qui avait vécu dans la rue pendant un certain temps. Ce qui m’a le plus frappé, c’est que les sentiments éprouvés par toutes ces femmes étaient similaires. Dans le film, j’ai voulu mettre en lumière cet espace commun.
J’ai toujours pensé qu’il fallait respecter l’anonymat de ces femmes à qui j’ai parlé, afin que personne ne puisse les identifier. J’ai supprimé les détails les plus personnels, ce qui m’a permis de les sécuriser et de les amener à me faire confiance.
« Souvent au cinéma, le corps des femmes est représenté comme si en vieillissant, elles cessaient d’être des femmes. J’ai voulu rendre à leur corps toute leur dignité. »
Vous avez dit en interview que Mémoires d’un corps brûlant est la conversation que vous n’avez pas pu avoir avec vos grands-mères. Qu’est-ce que le film a signifié pour vous sur le plan personnel ?
Eh bien, plein de choses, des réflexions personnelles, des leçons de vie… Ces femmes ont vécu, elles ont une grande expérience de la vie. Je ne sais pas si ce sont les histoires de mes grands-mères, je ne sais pas et je ne le saurai jamais, mais je sens une approche de ce qu’elles ont pu vivre, ressentir ou expérimenter.
J’ai l’impression que le film finit par être une sorte de recueil de la mémoire, voilà ce qui s’est passé, voilà ce qu’elles ont vécu et maintenant, nous en sommes là. C’est important de ne pas oublier et de ne pas répéter.
Le film a été très bien accueilli dans de nombreux festivals. Il a été primé à Berlin, en France et a reçu tout récemment le prix du public en Corée. Ce bon accueil dans des pays si différents, avec des cultures si différentes, me fait beaucoup réfléchir. Il y a un peu partout la même résonance, une sorte d’empathie pour nos femmes.
Le personnage principal, une femme de 68 ans, vit enfin une vie et une sexualité libérées des contraintes du passé et les images de cette nouvelle vie sont combinées aux expériences du passé. Comment est née l’idée d’alterner le passé et le présent et d’utiliser les voix de différentes femmes en voix off ?
Ça a mûri au fur et à mesure dans ma tête. D’abord, j’ai enregistré les entretiens. J’avais donc des bandes audio de leurs voix. Dès le début, j’ai été confrontée au défi formel de traduire ces enregistrements audio en images. À un moment donné, en écoutant parler ces femmes, j’ai ressenti le besoin de voir et de sentir ce qu’elles ont vécu, ce qu’elles vivaient et c’est ainsi que j’ai décidé de travailler avec des actrices.
Je voulais aussi rendre visible ce corps féminin qui vieillit. Souvent, au cinéma, le corps de femmes est présenté, comme si en vieillissant, elles cessaient d’être des femmes. J’ai voulu rendre aux femmes, à leur corps, toute leur dignité. Le corps des femmes, aussi gris, ridé ou taché qu’il soit, ressent et est capable de désirer. La seule façon de le faire était de le montrer de manière naturelle.
Pensez-vous que le cinéma peut changer les mentalités ?
Je pense que l’art en général a la grande capacité de montrer les choses sous un angle diffèrent. C’est une façon de se voir dans le miroir, de se confronter à soi-même. L’art a la capacité de poser une sorte de loupe sur certains pans de nos vies. Il a clairement un pouvoir de transformation. Je n’essaie pas de changer le monde, mais l’art est transformateur.
Pour moi, le plus important est d’entamer un dialogue. Si le film amorce un dialogue, si quelqu’un sort du cinéma en demandant à sa mère ou à sa grand-mère à quoi ressemblait sa vie par le passé, pour moi, c’est déjà un grand pas.
Comment le film a-t-il été accueilli au Costa Rica et en particulier par les jeunes costariciens ?
Personnellement, l’une des choses qui m’a le plus marquée, c’est que le film touche énormément les jeunes. J’ai trouvé très curieux et très particulier qu’aux projections auxquelles j’ai participé, à la fin, les gens s’approchent de moi pour me remercier et même me faire un câlin. Les jeunes sortent émus du cinéma, même s’ils n’ont pas vécu cette réalité. Probablement, leurs mères non plus, mais il y a une sorte de connaissance du corps et cela se manifeste après le visionnage du film. Quelque part, ils découvrent sur grand écran une partie de son histoire. Nous ne sommes pas seulement notre présent, il y a un fardeau générationnel que nous portons. Et cela m’émeut beaucoup…
Retrouvez ici notre chronique de Mémoires d’un corps brûlant d’Antonella Sudasassi Furniss.
Crédits photo principale : Portrait d’Antonella Sudasassi Furniss © Nour Films