Avec Lettre à Franco, le talentueux cinéaste espagnol Alejandro Amenábar rend un hommage mérité à l’écrivain et penseur iconoclaste Miguel d’Unamuno. En revenant sur son discours prononcé le 12 octobre 1936 au sein de l’université de Salamanca face aux militaires, il ressuscite la mémoire d’un personnage maltraité par l’Histoire.
Le 19 février sort Lettre à Franco qui aborde la figure du grand écrivain et libre-penseur Miguel de Unamuno ainsi que les premiers mois de la guerre civile. Comment l’idée de faire ce film t’est-elle venue ?
J’ai été très touché par le discours de ce vieil homme qui, à la fin de sa vie, s’insurge face à une assemblée de phalangistes et de fascistes et prononce un discours véhément à son encontre. Pour moi, c’était un moment très cinématographique. J’étais également très surpris de ne pas connaître cet épisode alors que j’ai étudié Unamuno au lycée.
J’ai commencé à enquêter sur sa position pendant la guerre et j’ai réalisé qu’il y avait une histoire parfaite du point du vue dramatique. Puis, petit à petit, je me suis plongé dans l’histoire parallèle de la prise de pouvoir de Franco. C’était affolant de constater le peu de choses que l’on connait finalement sur cette période clé de l’histoire d’Espagne.
Les événements que tu relates dans le film, ainsi que tout ce qui est lié à la guerre civile espagnole, sont généralement des questions très controversées…
Lorsqu’on se lance dans un projet de cette ampleur, il faut laisser de côté la peur des critiques. Je savais déjà qu’on allait scruter chaque partie du film, mais je me suis préparé à fond. Nous avons été épaulés par un historien reconnu ainsi que par un conseiller militaire. Parfois, nous avons trouvé des opinions divergentes, et d’un coup, on prend conscience que ces deux Espagne existent toujours.
J’ai voulu faire un film qui ne soit ni revanchiste, ni victimiste. Je voulais juste comprendre. La personne avec laquelle je m’identifie le plus est Miguel de Unamuno qui incarne à mes yeux une troisième Espagne, celle qui ne voulait pas la guerre. Franco est la figure antagoniste, mais je ne voulais pas faire un film dénonçant les horreurs de la dictature, plutôt proposer une réflexion sur l’Espagne.
« J’ai voulu faire un film qui ne soit ni revanchiste, ni victimiste. Je voulais juste comprendre »
Le personnage d’Unamuno est interprété avec beaucoup de justesse par Karra Elejalde. Comment avez-vous construit ensemble le personnage ?
Karra est un excellent acteur, il est très intuitif et talentueux. Par contre, il n’a ni le physique, ni l’âge, ni le caractère du personnage. C’est un acteur très extraverti, un histrion. Pour interpréter Unamuno, Il a dû beaucoup travailler afin de créer un personnage plein de retenue et doté d’un monde intérieur très riche.
L’acteur Santi Prego incarne un Franco perspicace et fin stratège. Comment avez-vous fait face à un personnage d’une telle stature ?
Pour moi, enquêter sur Franco était vraiment passionnant. C’était quelqu’un de très hermétique et difficile à cerner, même pour ses proches. Au début, nous avons tâtonné, mais nous avons finalement compris assez rapidement comment l’incarner. Pour nous, il était comme le garçon du dernier rang, celui qui semble ne rien comprendre, qui semble toujours absent mais qui finalement est l’un des plus intelligents de la classe. Un loup déguisé un agneau. Et c’est pour ça qu’il était dangereux.
La polémique est encore très vive en ce qui concerne les mots qu’Unamuno a employé dans son fameux discours. Les uns disent Venceréis, pero no convenceréis et les autres Vencer no es convencer…
Nous savons pertinemment qu’Unamuno a utilisé les mots vencer et convencer car il les a écrits dans le brouillon de son discours. Dans le film, j’ai utilisé Venceréis, pero no convenceréis à la deuxième personne du pluriel car c’est plus épique. Nous avons été très soigneux pour la reconstruction de cette scène, en délimitant petit à petit les certitudes.
Il y a de nombreux témoignages concordants de gens d’opinions politiques différentes. Et puis, par simple déduction, Unamuno a été expulsé de l’Université de Salamanca et assigné à résidence suite à cet événement, donc on peut supposer que ce qu’il a prononcé était assez grave.
Le film est un hommage à la figure d’Unamuno et une ode à la raison contre la violence. Penses-tu qu’il soit encore nécessaire de défendre ces idées-là actuellement ?
Je crois qu’en Espagne, le film est tombé au bon moment. Aujourd’hui, face aux voix exaltées, à la politique spectacle, au fanatisme, il est nécessaire de faire appel aux figures maltraitées par l’Histoire comme celle d’Unamuno ou de la philosophe Hypatie d’Alexandrie que j’ai abordée dans mon précèdent film Agora.
Propos recueillis par : Elena Paz Pérez
Crédits photos : Rafa Gallar, Teresa Isasi
FICHE DU FILM
- Titre original : Mientras dure la guerra
- De : Alejandro Amenábar
- Avec : karra Elejalde, Eduard Fernández, Santi Prego
- Langue originale : Espagnol
- Date de sortie : 19 février 2020
- Durée : 1h 47min
- Distributeur : Haut et Court