Dans le cadre des commémorations du 50e anniversaire du coup d’État au Chili et de la mort de Salvador Allende, la maison de l’Amérique latine dévoile pour la première fois à Paris les superbes clichés de la photographe Paz Errázuriz. Très peu connue en France, mais néanmoins déjà présentée en 2017 aux Rencontres d’Arles, cette rétrospective met en lumière l’œuvre de cette artiste qui n’était pas destinée à priori à être photographe. Étonnement, c’est en quelque sorte la dictature qui lui a révélé sa véritable passion.
Une photographe autodidacte
Quand suite au coup d’État, Paz Errázuriz perd son travail d’institutrice, elle se tourne alors comme par instinct de survie vers la photographie. Sans doute sa façon à elle de rendre plus supportables les longues journées d’enfermement et les couvre-feux imposés par les militaires.
Entre les murs de sa maison de Santiago de Chili, entourée de ses enfants et de leurs amis, Paz Errázuriz commence à prendre des clichés de la poule qui vit avec eux dans le patio de la maison familiale. Un livre pour enfants contenant ces premières photos sera édité sous l’égide d’une responsable éditoriale qui n’était autre que l’écrivaine chilienne Isabel Allende.
Par la suite, même si se promener avec un appareil à la main dans un tel contexte n’était pas chose facile, a fortiori pour une femme, elle éprouve le besoin de photographier ses concitoyens. Rapidement, son objectif se pose sur les laissés-pour-compte, ceux desquels on détourne le regard, qu’on préfère laisser à l’écart pour ne déranger personne.
C’est ainsi, de façon complètement autodidacte et en pleine dictature, que Paz Errázuriz plonge dans l’univers de la photographie : « Mes débuts de photographe professionnelle correspondent à ceux de la dictature. La photographie m’a permis de m’exprimer à ma façon et de participer à la résistance. C’est étrange de constater à quel point les périodes hostiles et dangereuses peuvent stimuler les artistes. Toute cette énergie créatrice s’exprime alors par la métaphore. C’était le cas au Chili, dans les années 1980 »
Rendre visible les invisibles
Son œuvre, profondément traversée par les années sombres de Pinochet (1973 – 1990), évoque avec une puissance rare l’humain. Ces sont des images, pour la plupart en noir et blanc et d’une grande beauté esthétique qui montrent ces Chiliens et ces Chiliennes appartenant à des groupes marginalisés souffrant tout particulièrement sous le régime.
La photographe va ainsi à la rencontre de ces différentes populations, circassiens, lutteurs, travestis et prostituées, vagabonds ou encore malades mentaux tout en nouant souvent des relations fortes avec ses modèles, à tel point qu’elle déclare souvent avoir toutes les peines du monde à clore une série. Un sentiment qui s’exprime à merveille à travers le titre de l’exposition, Histoires inachevées.
Vous retrouverez ainsi dans cette exposition près de 120 tirages issus de 15 séries, dont trois totalement inédites. En premier lieu, Sepur Zarco (2016) qui ouvre l’exposition. Ici, Paz Errázuriz dévoile les portraits saisissants de tendresse et de dignité de femmes guatémaltèques violées et réduites en esclavage par les militaires durant le conflit armé (1960-1996). Des femmes qui se sont battues durant des années et ont finalement obtenu justice auprès de la Cour suprême du Guatemala.
La visite se poursuit avec la série Ñuble (2019), qui rassemble des portraits des femmes en milieu carcéral. Puis, vous pourrez découvrir Próceres (1983), une série dédiée aux statues chiliennes violemment endommagées et démantelées au plus fort de la dictature. Enfin, l’exposition accueille aussi l’emblématique série La Manzana de Adán, réalisée entre 1982 et 1987, dans laquelle la photographe s’introduit dans le quotidien des prostituées, femmes et travestis, travaillant dans les maisons closes des bas quartiers de Santiago.
Crédits photo principale : Evelyn – La Palmera, Santiago. Série Manzana de Adán, 1982-1987. Tirage cibachrone de 2015, 26 x 39.3 cm. Collection privée, Paris.
INFORMATIONS PRATIQUES
- TITRE : Paz Errázuriz. Histoires inachevées.
- LIEU : Maison de l’Amérique latine
- ADRESSE : 217, boulevard Saint-Germain 75007 Paris
- HORAIRES : du lundi au vendredi de 10h à 20h, samedi du 14h à 18h. Fermeture les dimanches et jours fériés.
- DATES : jusqu’au 24 janvier 2024
- ENTRÉE : libre
- RENSEIGNEMENTS : Maison de l’Amérique latine