Partez à la rencontre de ces hommes et de ces femmes attachés à leur identité et à leur liberté grâce à Marronnage, l’art de briser ses chaînes, une exposition exceptionnelle à la Maison de l’Amérique latine. Cette immersion au cœur d’une culture originale née de la révolte et qui réprouve toute forme d’oppression vous donnera les clés d’une esthétique qui se réinvente constamment autour d’œuvres très rarement exposées. Venez découvrir les productions artistiques de ces peuples d’origine africaine, trop souvent ignorés, transportés de force en Amérique du Sud et qui se sont structurés en sociétés issues du refus de l’esclavage.
Une culture originale
L’exposition retrace la vie de ces hommes et de ces femmes déportés vers les plantations esclavagistes. Au Suriname et en Guyane française, certains ont pu fuir et se cacher dans la forêt. Ces différentes sociétés, les Saamaka, les Dyuka, les Paamaka, les Boni-Aluku, les Matawai et les Kwinti ont d’abord dû défendre leur liberté, puis se construire et se développer. La paix revenue, ils ont alors pu exprimer leur sens du beau et leur insatiable créativité.
Ils ont finalement inventé un monde nouveau dans lequel l’art leur a permis de tisser des liens sociaux et amoureux. Tout cet univers se révèle grâce à un passionnant parcours ponctué d’œuvres d’art, de documents historiques, de dessins et de gravures des XVIIIe et XIXe siècle, d’objets du quotidien, mais aussi de photos et de vidéos
Le Tembe
L’art des peuples marrons, le tembe, « Figures complexes, entrelacées les unes aux autres, inscrites dans le bois comme autant de lignes de fuite » exprime depuis deux siècles la liberté et la créativité. À travers la sculpture et la peinture sur bois, la gravure sur calebasse, mais aussi la musique, la danse, les contes, vous découvrirez de quelle manière le tembeman crée en utilisant tout en les actualisant les symboles géométriques des anciens. La tembeoeman, la femme artiste, cousait et brodait traditionnellement pour son conjoint. Aujourd’hui, elle confectionne des capes, des calimbés, des foulards comme une authentique créatrice de mode.
Sous les doigts des tembeman, les objets du quotidien tels qu’un simple peigne, un plat ou une pagaie, deviennent des œuvres d’art à part entière…
Au fil de l’exposition, vous découvrirez des œuvres de la première moitié du XXème siècle dont dix-huit objets très rares issus de trois collections du Musée du quai Branly-Jacques Chirac ainsi que treize photographies jamais exposées. Au programme également, treize peintures, dont Astre II et Astre III d’Henri Télémaque, parrain de l’exposition, ainsi que Pinty girl du peintre, lithographe et sculpteur John Li A Fo. À voir également, treize bas-reliefs, cinq sculptures et 30 peignes, objet hautement symbolique, car offert traditionnellement à l’être aimé.
Lors de votre visite, vous remarquerez sans doute qu’à partir des années 80, les artistes marrons commencent à peindre sur des toiles, ce qui ajoute l’exploration chromatique à leur palette créative.
Particulièrement impressionnant, l’imaginaire foisonnant de Carlos Adaoudé, dit Kalyman, s’imposera à vous. Dans Grand fronton (2022), vous remarquerez certainement toutes ces formes de petites pagaies, un symbole du voyage qui rappelle également l’indispensable ustensile nécessaire pour pouvoir se déplacer dans ces contrées.
Autre point d’orgue de l’exposition, le dialogue novateur entre les photographes Nicola Lo Calzo, Gerno Odang, Ramon Ngwete, Karl Joseph et le travail photographique des ethnologues Jean-Marc Hurau et Pierre Verger devrait apaiser votre soif de curiosité.
Une magnifique exposition qui vise à mieux faire connaître une population trop souvent ignorée, mais dont l’esthétique se joue des catégories et se réinvente constamment. À noter qu’un livre de l’exposition, Marronnage l’art de briser ses chaînes, préfacé Christiane Taubira est disponible aux Éditions Loco – Maison de l’Amérique latine au prix de 27 euros.
Crédits photo principale : Ma Atema, obiaoeman (guérisseuse noire-marron), Charvin, Mana, 2019. Photo Karl Jospeh