Généreuse pourvoyeuse de passionnants reportages en terres ibères, la chaîne franco-allemande nous livre une analyse édifiante des principales lignes de failles qui traversent la société espagnole contemporaine. Des fractures profondes qui, pour la plupart, s’enracinent dans les blessures de la guerre civile et de la dictature franquiste.
Une Espagne fracturée
La polarisation des opinions politiques est une tendance de fond qui, des États-Unis à la France, de l’Italie à la Grande-Bretagne, s’est imposée durablement au sein de nos démocraties occidentales. Mais c’est sans doute en Espagne qu’elle prend sa forme la plus spectaculaire.
Profondément fracturée, plombée par des contextes économiques et politiques générateurs d’immenses tensions, la société espagnole s’apparente aujourd’hui à une mosaïque d’opinions exacerbées de plus en plus irréconciliables.
À Séville, ville meurtrie par les horreurs de la guerre civile, Angel Rodríguez, âgé de 87 ans, nourrit l’espoir que de récentes fouilles permettront d’exhumer les ossements de son père, exécuté il y a près de 80 ans par les phalangistes. Mais voilà, ces fouilles rendues possibles par la loi de 2007 sur la mémoire historique font grincer des dents. Au lieu de panser les blessures du pays, ce texte les a finalement ravivées, la droite conservatrice l’ayant vécu à l’époque comme une véritable déclaration de guerre, une basse vengeance ourdie par la gauche qui souhaitait alors remettre sur le devant de la scène un conflit qui, selon elle, était déjà réglé.
Un conflit déjà réglé ? Plus de 100 000 dépouilles reposent encore dans des fosses communes ou des charniers et l’examen de conscience des années Franco n’a clairement pas eu lieu. Ainsi, tous les ans, les admirateurs et les nostalgiques du dictateur se pressent en masse pour fleurir sa sépulture, l’honorant d’un authentique salut fasciste pour les plus fervents. En toute légalité, les symboles et les saluts fascistes n’étant pas officiellement interdits.…
Des clivages comme de lointains échos du passé…
Dans la société espagnole, la guerre civile et la dictature restent de puissants marqueurs du clivage gauche-droite.
Un clivage qui n’a eu de cesse de s’amplifier au gré des crises financières, politiques et sanitaires qui ont déferlé sur le pays depuis 2008. Ainsi, le mouvement des Indignados, qui a marqué le début de l’ascension politique de Podemos, a causé des soubresauts à l’autre extrémité de l’échiquier politique avec la naissance du parti Vox, l’une des extrêmes droites les plus conservatrices et radicales d’Europe.
De la crise du logement aux revendications indépendantistes de la Catalogne, L’Espagne, un pays divisé passe au crible les principaux facteurs ayant contribué à polariser la société espagnole. Avec en filigrane, l’idée que les fantômes du passé n’ont jamais autant hanté les propos radicaux que l’on peut entendre aujourd’hui.
La tendance mondiale à la radicalisation des extrêmes, frappe ainsi de plein fouet l’Espagne et les sujets de crispation y sont nombreux : rapport à l’Histoire, crise financière, aspirations régionalistes à l’indépendance… Le consensus semble absent des débats et les interrogations sont légion. L’Espagne saura-t-elle exorciser son douloureux passé ? Parviendra-t-elle à combler ces clivages qui divisent de plus en plus profondément sa société ? Et au final, combien de temps la démocratie espagnole pourra-t-elle faire preuve de résilience face à ces toutes ces tensions ?
Un passionnant reportage de Marcel Mettelsiefen, déjà auteur de l’excellent Espagne : la pandémie fait le lit de l’extrême droite l’an passé sur Arte.