La réalisatrice espagnole Elena López-Riera, révélée grâce à son premier long métrage El Agua, dresse un portrait fascinant de la société espagnole de la fin du siècle dernier à travers les fragments de vie de six femmes dans Les Fiancées du Sud, un court métrage documentaire disponible sur la plateforme numérique de France Télévisions. Des témoignages intimes issus de conversations que la réalisatrice a initiées avec ces « fiancées » qui se sont mariées, mais qui n’ont pas pour autant connu l’amour. Le documentaire, lauréat de la Queer Palm du court-métrage au dernier Festival de Cannes, offre une tribune unique à ces voix longtemps restées dans l’ombre.
Toutes ces questions que je n’ai jamais osé poser à ma mère…
Le film s’ouvre sur une confession intime de la réalisatrice, livrée en voix-off avec à l’écran une photo de mariage de sa mère : « Je regarde la photo de ma mère le jour de son mariage. Je fais le calcul : j’ai aujourd’hui plus d’années qu’elle lorsqu’elle a perdu sa virginité. Je suis plus âgée qu’elle le jour où elle a choisi de devenir mère pour toujours. J’ai pratiquement l’âge qu’avait ma grand-mère lorsqu’elle l’a accompagnée à l’église. » Une confession comme une porte d’entrée vers d’autres interrogations qu’elle préfère ensuite adresser à d’autres femmes, faute de trouver le courage de les poser directement à sa mère.
« J’ai commencé à réfléchir à ce film il y a 20 ans. J’ai toujours eu une fascination pour les rituels, et notamment pour le rituel du mariage. 20 ans, 30 ans, 50 ans même, me séparent de ces femmes, mais j’estime qu’entre leur génération, qui est celle de ma mère, et ma génération, tout a changé, en termes de mariage, de virginité, d’amour, de sexe… » racontait la réalisatrice lors d’un récent entretien pour le site La semaine de la critique. « Las novias del sur est un film qui s’est fait un peu tout seul, par nécessité, par intuition, par une envie de suivre mes impulsions » ajoute-t-elle.
Ces voix de femmes longtemps réduites au silence racontent des parcours similaires : se marier jeune pour échapper à l’autorité familiale, devenir « la femme de » pour asseoir un statut social en endurant parfois une vie maritale peu heureuse pour préserver le bien-être des enfants.
Des témoignages bruts et bouleversants, d’une liberté absolue
Les six récits collectés révèlent des parcours de vie singuliers, marqués par des choix imposés par la société ou par les aléas de la vie.
Certains récits sont difficiles, mais empreints d’une bouleversante sincérité. Ainsi, une femme avoue par exemple s’être rendue dans une clinique pour mettre un terme à sa troisième grossesse issue d’un mariage avec un homme qu’elle n’a jamais aimé. Une décision qu’elle considère comme la plus grande erreur de sa vie.
Un autre témoignage marquant est celui d’une dame élégante de 103 printemps qui confie n’avoir jamais apprécié les relations sexuelles avec son mari avec lequel elle a vécu trente ans. Elle préférait largement se procurer du plaisir seule, un sujet qu’elle n’évoquait jamais, pas même avec ses amies. Elle raconte ensuite l’histoire d’amour qu’elle a vécue à 73 ans avec un homme bien plus jeune qu’elle, rencontré lors d’un bal : « Ça a duré neuf ou dix ans. C’était l’amour de ma vie. J’ai découvert ce que signifiaient l’amour et le désir. »
Si Elena Lopez Riera pensait dans un premier temps qu’il serait compliqué de faire parler ces femmes, elle s’est vite rendue compte qu’au plus profond d’elles-mêmes, elles en brûlaient d’envie. Ces questions que personne ne leur avait posé jusque-là mènent à une catharsis bienvenue, une parole libératrice qui réjouit au plus haut point la réalisatrice : « Personne ne leur avait posé ces questions sur leur vie et leur intimité, c’est tellement beau et tellement terrible de constater ça. C’est pour ça que je revendique beaucoup la parole et la force de cette parole parce que c’est une parole inédite. » ajoute-t-elle ainsi.
Un travail d’archives méticuleux
Les Fiancées du Sud est perclus d’images tirées des albums de famille de la réalisatrice ou de films Super 8 qui laissent à voir un univers figé dans ses traditions. Des figures de femmes hantent ces photos et ces films de famille, épouses sérieuses, parfois heureuses, pleines d’illusions ou déjà désenchantées, mariées vêtues de blanc immaculé souriant à l’objectif, mais dont le regard trahit la peur de l’inconnu…
Sous nos yeux, les derniers préparatifs à la maison, l’échange des alliances, les jeunes mariés agenouillés devant l’autel et enfin, le premier baiser, maladroit et hésitant, chaque détail soulignant toute la pression sociale qui pesait alors sur ces unions…