Quel a été le rôle des diplomates face au massacre des juifs d’Europe ? Le Mémorial de la Shoa nous invite à nous plonger dans cette question toujours ouverte, en grande partie en raison des difficultés à accéder aux documents diplomatiques officiels de l’époque. Si une poignée de ces hauts-fonctionnaires ont sauvé des Juifs et que quelques autres, aux côtés des journalistes, ont été les premiers à révéler leur persécution puis leur extermination au monde, force est de constater que la plupart d’entre eux ont obéi aux ordres et navigué à vue dans le chaos de la guerre.
Les diplomates, témoins privilégiés de la persécution des Juifs
La première partie de l’exposition s’ouvre avec les ambassadeurs en poste en Allemagne entre 1933 et 1941. Sur une photo en noir et blanc couvrant presque intégralement un mur, le Führer souhaite la bienvenue au corps diplomatique étranger. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, les diplomates évoquent dans leurs rapports la « lutte » acharnée contre les Juifs ainsi que la mise en place progressive des lois antisémites. L’ambassadeur français à Berlin, André François-Poncet, est rapidement persuadé du risque de guerre en Europe et exprime à la fois sa répulsion et sa fascination pour le nazisme. Il fait part également au gouvernement français des souffrances des juifs allemands.
Le mémorial de la Shoah met en lumière l’échec de la conférence d’Évian, organisée par le président Roosevelt en 1938, afin de sauver les réfugiés juifs allemands et autrichiens fuyant le nazisme et ses persécutions, comme la Nuit de Cristal, qui marquera un avant et un après dans la violence antisémite.
» Être assise là, dans cet endroit magnifique, à écouter les représentants de trente-deux nations expliquer, chacun leur tour, à quel point ils aimeraient pouvoir accueillir de nombreux réfugiés et combien ils sont malheureux de ne pas pouvoir le faire est une expérience effroyable. Ceux qui n’auront pas vécu ça auront du mal à comprendre ce que je ressens ici, à Évian. Un mélange de douleur, de rage, de frustration et d’horreur. « Déclaration de Golda Meir, représentante de l’Agence juive pour la Palestine.
Entre protection, indifférence et collaboration
Au moyen de nombreux documents officiels, photos et enregistrements d’époque, l’exposition se poursuit et porte tout particulièrement son attention sur les actions engagées par des diplomates pour sauver des vies. C’est le cas de du consul portugais à Bordeaux, Aristide de Sousa Mendes, qui refuse de suivre les ordres du gouvernement de Salazar et délivre sans distinction plusieurs milliers de visas aux personnes menacées, de Chiune Sugihara consul du Japon à Kaunas en Lituanie, ainsi que du plus célèbre de tous les diplomates suédois, Raoul Wallenberg, qui a sauvé des milliers de personnes à Budapest.
La seconde partie de l’exposition s’attarde sur un point moins connu, la « diplomatie homicide » allemande. En effet, dès qu’Hitler annexe un pays ou s’allie à un État, les diplomates sont les premiers chargés de véhiculer la propagande antisémite. Ce sont eux qui se chargent de négocier l’arrestation et la déportation des populations Juives, suivant scrupuleusement les consignes du ministère des Affaires Étrangères.
Après la guerre…
Dès la fin de la guerre en 1945, la question de la responsabilité des diplomates est rapidement soulevée. En effet, c’est au procès de Nuremberg que sont jugés plusieurs d’entre eux, comme Joachim von Ribbentrop, condamné à mort et exécuté ou Franz von Papen, de son côté acquitté. Le procès de la Wilhelmstrasse est, quant à lui, considéré comme le grand procès des diplomates avec dans le box des accusés vingt et un hauts-fonctionnaires qui ont servi le régime nazi. Le principal accusé, Ernst von Weizsäcker, sera condamné à sept ans de prison – ramenés à cinq en appel – pour avoir contribué à la déportation des Juifs de France.
» Nous avons mentionné que le ministère des Affaires étrangères a joué un rôle majeur dans ces atrocités. Des accords ont été passés par le ministère des Affaires étrangères dans lesquels le gouvernement de Vichy de France et les gouvernements de Hongrie, de Slovaquie, de Bulgarie, de Roumanie et de Croatie ont donné leur consentement à la déportation des Juifs de leurs pays. […] Tous ceux qui ont mené, soutenu, favorisé ou autrement participé sciemment à ces actions portent une part de responsabilité dans ces crimes planifié. « Extrait du verdict de la Wilhelmstrasse, 1948-1949
Pour finir sur une touche d’optimisme, l’exposition s’achève sur la mémoire des justes parmi les nations, titre décerné par l’État d’Israël et le Yad Vashem, l’Institut National pour la mémoire de la Shoah aux diplomates (et autres personnalités) ayant sauvé des Juifs, risquant d’être lourdement sanctionné ou même d’y laisser leur vie.
Crédits photos : Représentants réunis autour d’une table lors de la conférence d’Évian – Évian-les-Bains, France, 6-15 juillet 1938 © Mémorial de la Shoah / CDJC (photo de couverture)
INFORMATIONS PRATIQUES
- TITRE : Les diplomates face à la Shoah
- ADRESSE : 17, rue Geoffroy l’Asnier 75004 Paris
- HORAIRES D’OUVERTURE : du dimanche au vendredi de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h
- DATES : du 8 février au 8 mai 2022
- TARIF : gratuit
- RENSEIGNEMENTS : Memorial de la Shoah