Choisi pour représenter le Chili aux Oscars, Les Colons, premier long métrage de Felipe Gálvez Haberle, a remporté en mai dernier le prix FIPRESCI du meilleur film dans la section Un certain regard à Cannes. Ce western de haute volée révèle au grand jour les horreurs de la colonisation en Patagonie chilienne et le terrible génocide du peuple indigène Selk’nam.
Les oublis de l’Histoire
C’est en 1901 en Terre de Feu, au cœur de la Patagonie chilienne, que prend place l’histoire. Cet immense territoire aux confins du monde, attise la convoitise de colons qui y voient un nouvel el Dorado. Cherchant à conquérir de nouvelles terres, José Menéndez, un riche propriétaire terrien, engage trois cavaliers pour qu’ils déplacent les populations autochtones afin d’ouvrir une nouvelle route vers l’Atlantique.
L’histoire d’un pays est faite d’ombres et de lumières et l’Histoire officielle ne s’est jamais privée de passer sous silence des événements pourtant majeurs. C’est ainsi qu’il y a une quinzaine d’années, Felipe Gálvez Haberle a pris fortuitement connaissance par le biais d’un article dans un journal du génocide des Indiens Selk’nam ou Onas, comme on les nomme également au Chili. Une histoire qui l’a profondément bouleversé et qui s’imposera naturellement comme le sujet de son premier film.
« L’île de Dawson, en Terre de Feu, a été transformée dans les années 70 en camp de concentration, puis d’extermination par la dictature de Pinochet, pour les membres du gouvernement et les proches d’Allende. Mais tout le monde a oublié qu’elle avait auparavant abrité un autre massacre, contre les indigènes. D’où l’importance, pour comprendre notre histoire récente, de remonter plus loin, au temps de la colonisation des terres indiennes. Aujourd’hui, au Chili, on veut nous faire oublier la dictature de Pinochet tout comme avant on avait voulu nous faire oublier le massacre des peuples indigènes. C’est un jeu de miroir entre différents oublis. »
Un cowboy, un lieutenant et un métis
Dans ce western formellement classique doté d’une photographie magistrale signée Simone D’Arcangelo, trois personnages font avancer le récit : le lieutenant anglais MacLennan (Mark Stanley) un homme violent et sans scrupules, un mercenaire américain, Bill (Benjamin Westfall) et Segundo (Camilo Arancibia), un métis rongé par la culpabilité. Tous trois sont aux ordres de Menéndez, ce propriétaire terrien prêt à faire un nettoyage ethnique pour s’approprier de nouvelles terres, incarné par Alfredo Castro, qui signe une fois de plus une interprétation remarquable.
Soutenu par une musique volontiers épique d’Harry Allouche, Les Colons dénonce une construction de l’Histoire au service des élites du pays : « Paradoxalement, les Selk’nam font aujourd’hui au Chili partie de l’imagerie populaire. Vous allez à l’aéroport, vous trouverez des poupées Selk’nam, du chocolat, du vin à leur effigie. Ce qui m’intéresse dans tout cela et à travers le film, c’est de comprendre comment cette histoire est désormais entrée dans l’imaginaire national, alors que cette population a quasiment disparu. Le film part de ce constat, de cette contradiction. »
Crédits photos : Dulac Distribution (photo de couverture)
FICHE DU FILM
- Titre original : Los Colonos
- De : Felipe Gálvez Haberle
- Avec : Alfredo Castro, Camilo Arancibia, Mark Stanley, Benjamin Westfall
- Date de sortie : 20 décembre 2023
- Durée : 1h37 min
- Distributeur : Dulac Distribution
