À 83 ans, Víctor Erice est l’un des réalisateurs cultes du cinéma espagnol. En dépit d’une production très limitée, son parcours artistique a constamment été jalonné de prix prestigieux et ses long métrages salués par le public et la critique. Comme des gouttes de pluie dans le désert, les films de Víctor Erice sont rares et précieux. Il aura fallu ainsi patienter trois décennies pour découvrir Fermer les yeux, son 4ème long métrage, une bouleversante odyssée sur le temps qui passe, la mémoire, l’amour et le cinéma.
L’identité et la mémoire
Tout commence en 1947, dans une maison bourgeoise de la région parisienne. Sur place, un détective se rend à un rendez-vous avec son prochain client, un vieillard fortuné, gravement malade, cherchant désespérément sa fille unique. Rapidement, on comprend qu’il s’agit des premières séquences d’un film, La mirada del adiós, une œuvre inachevée par son réalisateur, Miguel Garay (Manolo Solo). En effet, en raison de la disparition soudaine pendant le tournage de l’acteur principal, Julio Arenas (José Coronado), le film ne verra pas le jour. Malgré les recherches, le corps de Julio ne sera jamais retrouvé et la police conclura à un accident.
Pour le réalisateur, Fermer les yeux est avant tout une exploration de l’identité et de la mémoire, deux sujets qui ont marqué sa filmographie et que l’on retrouve notamment dans Le Sud (1983). « Mon impression est que, au-delà des détails de son argument, la fiction que le film va proposer au spectateur tourne autour de deux sujets intimement liés : l’identité et la mémoire. Mémoire de deux amis, qui un jour déjà lointain furent un acteur et un réalisateur. Au fil du temps, l’un d’eux l’a tout à fait perdue, au point qu’il ne sait plus ni qui il est, ni qui il a été ; l’autre, cherchant à oublier, et malgré avoir trouvé refuge dans un petit coin perdu, constate à nouveau qu’il la porte encore en lui avec son fardeau de douleur », explique-t-il.
Deux films en un
Présenté hors compétition au dernier festival de Cannes, Fermer les yeux est un film de facture classique, d’une grande puissance évocatrice et au cheminement narratif captivant. Si la première partie revient d’une certaine manière sur La promesa de Shanghai, un scénario d’Erice inspiré du roman de Juan Marsé, El embrujo de Shanghai (1993), la seconde partie creuse les arcanes de son film Le Sud (1983). Dans cette seconde partie, Garay quitte Madrid pour retourner dans sa maison d’Almería pour vivre sa vie loin de tout, à l’abri des regards, comme un parfait inconnu.
C’est justement à Almería qu’a lieu l’une des scènes les plus fascinantes de Fermer les yeux, quand Garay chante et joue à la guitare la chanson My rifle, my pony and me, scène mythique du chef-d’œuvre d’Howard Hawks, Rio Bravo (1959). Erice révèle ici toute l’étendue de sa passion pour le cinéma et aborde son histoire intime avec le septième art, en utilisant comme alter ego le personnage principal de son film.
Aux côtés de José Coronado et de Manolo Solo, tous deux auteurs d’un travail d’interprétation remarquable, on retrouve également Ana Torrent, à l’affiche de L’esprit de la ruche (1973), film emblématique d’Erice, de Cría Cuervos (1976) de Carlos Saura ou encore de Tesis (1996) d‘Alejandro Amenábar. Une actrice qui n’a rien perdu de son charme mystérieux et dont le regard magnétique exprime si bien le poids du souvenir d’un père disparu qu’elle a à peine connu.
Crédits photos : Haut et Court (photo de couverture)
FICHE DU FILM
- Titre original : Cerrar los ojos
- De : Víctor Erice
- Avec : José Coronado, Manolo solo, Ana Torrent
- Date de sortie : 16 août 2023
- Durée : 2h49 min
- Distributeur : Haut et Court