Voici un film rare qui nous plonge au plus profond de l’âme du Pays basque. Tourné intégralement en langue basque, Atarrabi et Mikelats, neuvième long-métrage du réalisateur français d’origine américaine Eugène Green, met en scène une légende séculaire dont les échos interrogent singulièrement nos sociétés contemporaines.
UN RÉALISATEUR ATYPIQUE
Né le 28 juin 1947 à New York, Eugène Green s’installe à Paris à la fin des années 60 pour suivre des études de lettres et d’histoire de l’art. En 1977, il fonde une compagnie théâtrale, Le Théâtre de la Sapience, avec laquelle il met en scène des spectacles de théâtre baroque et de poésie contemporaine.
Ce n’est qu’au carrefour des années 2000 qu’Eugène Green se lance dans le cinéma avec Toutes les nuits, lauréat du prix Louis Delluc du premier film en 2001. S’en suivront huit autres long-métrages et cinq mini-films. Parallèlement à sa carrière de réalisateur, Eugène Green est aussi écrivain. Ses livres sont publiés depuis 2001.
Ces années passées au service du théâtre et de la littérature imprègnent largement sa production cinématographique. Le cinéma d’Eugène Green vise la lumière et la connaissance et les acteurs semblent n’y être que de simples courroies de transmission de la puissance des idées et des mots.
UN PROJET DE LONGUE HALEINE
La culture basque intéressait de longue date Eugène Green. Dès 2015, il consacrait un documentaire à la langue basque, Faire la parole, dans lequel le mythe d’Atarrabi et Mikelats était déjà évoqué.
Pour Eugène Green, tourner le film en langue basque était fondamental : « Je voulais absolument le faire en basque. Pour moi, ce film est un moyen d’aider les Basques à se réapproprier leur culture, qui a été très menacée : au sud par le franquisme (la langue basque était totalement interdite pendant la dictature de Franco), et au nord, par le jacobinisme, qui avait un programme d’extermination de toute langue autre que le français sur le territoire national. » explique-t-il.
LA NATURE, DIEU ET LE DIABLE
L’histoire d’Atarrabi et Mikelats prend place avec Mari, déesse de la nature qui ne connaît ni le bien ni le mal. Un soir, elle frappe à la porte d’un berger et lui ordonne de lui donner un enfant. De cette union suite à laquelle le berger perdra la vie, deux enfants naissent à quelques minutes d’intervalle. Quelques années plus tard, constatant qu’elle n’a pas la fibre maternelle, Mari décide d’amener Atarrabi et Mikelats à la caverne du Diable afin que celui-ci se charge de leur éducation.
Au fil des ans, Mikelats se rapproche du Diable tandis qu’Atarrabi rêve de lumière et d’ailleurs…Réduit au simple statut de serviteur, Atarrabi réussit à s’enfuir mais le Diable parvient à retenir son ombre…Sans ombre, pas de lumière…Et sans lumière, la grâce éternelle ne pourra lui être accordée.
En dépit de cette malédiction, Atarrabi se mettra au service des hommes et finira par comprendre avec l’aide d’Udana, une jeune fille dont il est tombé amoureux, que la lumière est tout simplement en lui.
UN CONTE FANTASTIQUE AUX ACCENTS CONTEMPORAINS
Si Eugène Green a souhaité inscrire cette légende dans un contexte contemporain, c’est avant tout pour nous interroger sur notre propre rapport à la spiritualité. Une spiritualité qui peine à exister face à l’obsession matérialiste à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines. C’est bien évidemment le Diable qui incarne ce matérialisme outrancier, écoutant du rap en travaillant et se targuant que l’enfer est à la pointe de la modernité. Pour Eugène Green, le mythe d’Atarrabi et Mikelats n’est pas circonscrit à des temps révolus. Il est toujours vivant en nous.
Un autre thème fort inscrit dans les gènes de ce mythe est l’écologie. Plus puissante que le Diable et que Dieu car elle est le médium par lequel ils s’expriment, Mari est la clé de voute de la mythologie basque. Elle incarne la nature et comme elle, les notions de bien et mal lui sont parfaitement étrangères. Pourtant, traitée avec respect comme le fera à plusieurs reprises Atarrabi au cours de cette histoire, elle peut se départir de sa neutralité et choisir de nous aider…
Audacieux et intriguant, Atarrabi et Mikelats est un film qui nous plonge au plus profond de l’identité basque. À ce titre, la musique y est aussi très présente et donne lieu à des scènes particulièrement jubilatoires, comme cette fête hédoniste où au cœur de l’enfer, les diablotins virevoltent, chantent et dansent à l’unisson.
Retrouvez également ici notre entretien avec Eugène Green.
FICHE DU FILM
- Titre original : Atarrabi et Mikelats
- De : Eugène Green
- Avec : Saia Hiriart, Lukas hiriart, Ainara Leemans, Thierry Biscary
- Date de sortie : 1er septembre 2021
- Durée : 2h 02 min
- Distributeur : UFO Distribution