Àl’image de Ken Loach, le cinéma du réalisateur portugais Marco Martins dépeint l’univers des plus pauvres, ces individus vulnérables broyés par l’impitoyable machine néolibérale. Dans la grande majorité de ses films, les protagonistes sont des laissés pour compte se livrant à un combat intérieur à la croisée du sentiment d’injustice sociale et de la faute personnelle.
La découverte d’une ville fantôme
Si dans Saint-Georges, Marco Martins plongeait le spectateur dans un quartier délabré de Lisbonne où la crise économique touchait de plein fouet ses habitants, le cinéaste met le cap avec son nouveau long métrage sur Great Yarmouth, une commune située dans le comté du Norfolk en Angleterre. Dans cette ancienne station balnéaire en déshérence, des centaines d’immigrants portugais arrivent régulièrement pour travailler dans les usines de production et de transformation de viande de volaille.
« La première fois que je me suis rendu à Great Yarmouth, c’était en 2016, après la fin du tournage de Saint-Georges. J’ai découvert une ville qui, autrefois, avait été une station balnéaire pour la classe moyenne anglaise et qui est aujourd’hui devenue une ville fantôme où vit une grande communauté de migrants portugais. J’ai commencé à les rencontrer. Tous travaillaient dans les usines périphériques de la ville et vivaient dans les hôtels du bord de mer. Plus j’écoutais leurs témoignages, plus je commençais à avoir des images mentales qui apparaissaient. J’ai compris que Great Yarmouth incarnait pour moi le paradoxe de notre société et de nos conditions de vie » , explique le cinéaste.
L’enfer de Great Yarmouth
2019, quelques mois avant le Brexit. Dans ce lieu sordide, Tânia (Beatriz Batarda), une Portugaise mariée à un Anglais originaire de Great Yarmouth est en charge d’organiser l’arrivée d’immigrants venant de son pays d’origine. Elle doit notamment leur trouver du travail et un logement sur place. Cette femme surnommée « la mère des Portugais » rêve de réhabiliter un ancien hôtel décrépi, propriété de son mari, pour accueillir de nouveau les touristes anglais qui ont déserté la région.
Dans un pur exercice de réalisme social, La caméra de Marco Martins montre les épouvantables conditions de travail au sein de l’abattoir ainsi que les logements insalubres dans lesquels sont entassés les malheureux travailleurs payés au lance-pierre. La photographie signée João Ribeiro participe quant à elle, avec sa palette de couleurs sombres et émoussées, à récréer cette atmosphère glaciale et cauchemardesque.
Dans Un Automne à Great Yarmouth, le cinéaste portugais, disciple de Pedro Costa et Manoel de Oliveira, explore la profonde crise économique qui traverse La Grande-Bretagne ainsi que le manque de valeurs d’une société où seul le profit et l’appât du gain comptent. Mais par-dessus tout, le cinéaste met l’accent sur la situation dramatique de ces immigrants portugais venus chercher une vie meilleure.
À noter, l’interprétation de Beatriz Batarda qui incarne à la perfection cette femme pleine de paradoxes, rongée par la culpabilité mais prête à tout pour parvenir à ses fins. Mention spéciale également à Nuno Lopes dans le rôle d’un travailleur immigrant qui recherche désespérément son frère disparu dans d’étranges circonstances…
Crédits photos : Damned Distribution (photo de couverture)
FICHE DU FILM
- Titre original : Great Yarmouth : Provisional Figures
- De : Marco Martins
- Avec : Beatriz Batarda, Nuno Lopes, Kris Hitchen
- Date de sortie : 6 septembre 2023
- Durée : 1h53 min
- Distributeur : Damned Distribution