Sur le papier, tous les ingrédients d’une belle soirée étaient réunis. Un album impeccable, des musiciens aguerris, un chanteur complètement habité par son projet, le tout servi dans un lieu, le Bal Blomet, au cadre intime et chaleureux, entre speakeasy et cabaret. Même l’indésirable de service, ce diable de variant Omicron, n’est pas parvenu à gâcher la fête, le public répondant présent et réservant à Juan Ramos et à ses compagnons de route une ovation largement méritée.


Le tango versant chanson

Le tango est une musique. Le tango est une danse… Mais le tango, ce sont aussi des textes et des chansons. C’est cette facette singulière du répertoire tanguero que Juan Ramos a choisi d’explorer à travers Cristal (2021), son troisième album studio. Un opus qui embrasse près d’un demi-siècle de tangos argentins et pour lequel il s’est entouré de musiciens hors-pair, Facundo Torres au bandonéon, Romain Lécuyer à la contrebasse, Jaime Flores Caceres au violon et Benjamin Sebban au piano.

Pour ce spectacle, ils sont très vite rejoints sur scène par un magnifique couple de danseurs, Maria Filali et John Zabala, dont les arabesques agiles nous feront vite voyager jusqu’à un cabaret de Buenos Aires…

Un tango léger et profond à la fois

Juan Ramos et ses musiciens entrent en scène et dès les premières mesures, les qualités de cet ensemble sautent littéralement aux oreilles. Tout n’est que question d’alchimie entre le chanteur et ses musiciens. D’une puissance rare, taillée pour l’opéra, la voix de Juan Ramos est un tigre en cage, un animal sauvage qu’il sait néanmoins apprivoiser. Une voix qui peut rugir, certes, mais aussi feuler ou se faire à l’occasion plus tendre et ronronner… Une voix taillée sur mesure pour distiller ces sentiments de passion, de folie, de désespoir, de trahison qui habitent ces chansons où les vertiges de l’amour se taillent la part du lion.

Face à cette tornade vocale, les quatre musiciens se font roseaux, distillant une partition légère comme une plume où l’épure est le maître-mot. Cette belle alchimie entre chant et instrumentation prend tout son sens sur scène, où les chansons de Cristal respirent et se révèlent incroyablement vivantes.

Au détour d’Es La Vida, d’El Firulete ou d’une milonga endiablée, l’ivresse distillée par le chant, la musique et la danse semble sortir tout droit d’un baroque manège fellinien dont l’hypnotique tourbillon disperse aux quatre vents la grande comédie humaine des sentiments.

Juan Ramos et le couple de danseurs Maria Filali et John Zabala © ️Silvina Stirnemann

Sur scène, chacun vit l’instant à sa façon. Jaime Flores Caceres et Benjamin Sebban sont appliqués, Romain Lecuyer se nourrit littéralement de l’énergie du couple de danseurs tandis que de son côté, Facundo Torres, les yeux mi-clos, laisse vagabonder son bandonéon sur le fil de ses rêveries intérieures. Quant à Juan Ramos, théâtral en diable, il profite de courtes pauses entre chaque chanson pour relater de truculentes scénettes porteñas qui les éclairent d’un jour nouveau.

De gauche à droite, Benjamin Sebban, Juan Ramos, Romain Lecuyer, Facundo Torres, Maria Filali, John Zabala et Jaime Flores Caceres © ️Silvina Stirnemann

Enfin, quand, suite à un bref rappel et à une énième salve d’applaudissement, les lumières se rallument, on se dit que le temps a filé trop vite et que l’on serait bien encore resté du côté de Buenos Aires un petit moment…


FICHE ALBUM


Album Cristal de Juan Ramos