Á l’occasion de la sortie au cinéma de La conspiration des belettes, nous avons pu interviewer Juan José Campanella. Le réalisateur argentin revient sur le tournage de cette comédie hilarante dans laquelle il rend hommage au cinéma classique. Avec à l’affiche des acteurs du calibre de Graciela Borges, Óscar Martínez, Luis Brandoni et Marcos Mundstock, Campanella nous délivre un chef-d’œuvre humoristique dont les dialogues et l’interprétation des acteurs sont les pièces maîtresses.
Votre dernier film, La conspiration des belettes, est une adaptation de Los muchachos de antes no usaban arsénico (1976) de José Antonio Martínez Suárez. Quelles ont été vos motivations à l’heure de réaliser une nouvelle version de cette comédie noire dans laquelle quatre septuagénaires font face à un couple d’agents immobiliers sans scrupules et prêts à tout pour les arnaquer ?
À vrai dire, le projet est né en 1997 au cours du montage de mon second film, Love walked in. Avec Con Darren Kloomok, le monteur, nous avons commencé à parler comédies romantiques et sommes arrivés ensemble au même constat : « de nos jours on ne fait plus des comédies comme celles d’avant ». Ces comédies pleines de dialogues ingénieux à la Lubitsch qui nous manquent tant.
C’est à ce moment-là que je me suis souvenu du film de José Antonio Martínez Suárez. J’ai toujours pensé que ce film était parfait pour faire une comédie romantique et rendre dans un même élan hommage à ceux qui faisaient ce cinéma classique. Ce sont ces films qui m’ont fait aimer le cinéma et pour lesquels je me suis finalement consacré au septième art.
Quelles sont les principales différences entre l’œuvre originale et votre film ?
Nous avons commencé à travailler le scénario en 1997. Cela signifie que nous avons eu devant nous beaucoup de temps pour le préparer car le tournage a débuté 21 ans plus tard. Ça a été un travail de longue haleine. Le film original est très ingénieux et nous avons décidé de beaucoup travailler les dialogues, mais aussi et surtout, de recréer la teneur de la relation amoureuse de notre couple d’acteurs.
« La vieillesse m’a toujours fasciné. Elle est bien présente dans tous mes films »
Nous avons également décidé de faire évoluer les personnages dans l’univers du cinéma. Ce sont des personnages qui parlent et respirent le cinéma. Et bien sûr, il y a Mara, le personnage principal qui a une destinée différente des autres. Au cours de cette vingtaine d’années de préparation, nos personnages ont passablement évolué. Si dans un premier temps, ils appartenaient à la génération des années 50, au fil de temps, ils se sont transformés en soixante-huitards, voire même en enfants des années 70, ce qui apporte une touche rebelle, très rock and roll, au film.
Pour ce film, vous avez travaillé avec quatre acteurs d’exception : Graciela Borges, Óscar Martínez, Luis Brandoni et Marcos Mundstock. Comment s’est déroulé le tournage avec ces quatre grands artistes argentins ?
J’ai toujours eu en tête l’idée que les quatre acteurs devaient être quatre icônes du cinéma ou de l’univers du théâtre. Au tout début du projet, il n’y avait pas d’acteurs dans cette tranche d’âge avec un tel parcours et j’ai même pensé à les maquiller pour les vieillir.
Puis, j’ai travaillé avec Graciela dans El hombre de tu vida et j’ai réalisé à ma grande surprise qu’elle était également une immense actrice comique. Je dis cela en ayant bien conscience que tout au long de sa carrière, elle n’a jamais incarné ce type de rôles. Elle a une grande subtilité et une extrême dextérité dans l’utilisation des pauses et des gestes. Elle était juste parfaite pour interpréter Mara. Je lui ai envoyé le scenario et elle a été immédiatement conquise. Ensuite, nous avons commencé à chercher les trois autres acteurs.
Je dois reconnaître que dans un premier temps, je n’ai pas pensé à Marcos Mundstock, même si j’ai une grande admiration pour lui. Il m’a beaucoup influencé au niveau humoristique. Je le voyais comme un grand acteur de théâtre qui, pendant des années, n’a incarné qu’un seul et même personnage dans son groupe les Luthiers. En tant qu’argentin, c’est une fierté d’avoir un groupe de théâtre comique comme celui-ci. Et je suis extrêmement heureux d’avoir travaillé avec lui et de savoir que j’étais un ami à ses yeux. Depuis sa mort l’an passé, il me manque chaque jour.
En résumé, travailler avec ces quatre monstres du cinéma et du théâtre a été un vrai plaisir pour moi et pour toute l’équipe du film. Je suis très reconnaissant d’avoir pu être témoin lors du tournage de leurs moments passés ensemble. Tous les quatre se connaissent depuis longtemps et cela se ressent énormément dans le film.
Au casting, on retrouve également l’actrice espagnole Clara Lago qui ne nous a pas habitués à incarner des rôles de méchante. Comment avez-vous préparé le rôle de Bárbara avec elle ?
Clara est une nouvelle recrue dans ma liste d’acteurs et d’actrices avec lesquels je veux continuer à travailler. Elle a merveilleusement reproduit l’accent argentin. À cela, on peut ajouter un regard très cinématographique. Dans un plan moyen, Clara peut être une femme charmante aux traits doux et enfantins. Mais lorsque la caméra s’approche, elle peut devenir avec une facilité déconcertante une parfaite vilaine. Pour moi, dans un film qui joue sur les codes et les archétypes du cinéma, c’est quelque chose de fondamental. Je remercie le ciel de l’avoir trouvée !
Les quatre personnages principaux appartiennent tous à la famille du cinéma : actrice, acteur, scénariste, réalisateur. Nous avons l’habitude d’idéaliser ceux qui ont une relation de près ou de loin avec le cinéma, notamment les acteurs, mais dans votre film, les cinéastes apparaissent très humains avec leurs failles et leurs vertus…
Oui, depuis mes débuts dans le cinéma, j’ai rencontré des centaines des personnes qui ont consacré leurs vies à nous transmettre ces émotions uniques que seuls le cinéma et le théâtre peuvent nous transmettre. Mais les acteurs sont évidemment des personnes normales. Bien entendu, ils ont des traits de caractère qui leur sont propres, avec le plus souvent un côté émotionnel très exacerbé, ce qui leur permet lors d’un tournage de devenir quelqu’un d’autre. C’est un moment magique qui me surprend toujours.
Par contre, une fois qu’on dit “coupez”, tout revient à la normale. Les acteurs qui ne comprennent pas cela souffrent énormément. D’ailleurs, je dois dire que ces quatre acteurs extraordinaires ont bel et bien les pieds sur terre.
Tout à l’heure, vous évoquiez le fait que l’un des objectifs de La conspiration des belettes était de rendre hommage au cinéma classique et aux acteurs…
Oui, complètement, mais pas qu’aux acteurs, j’ai voulu rendre hommage à tous ceux qui ont fait ce cinéma de l’âge d’or : les scénaristes, les réalisateurs et tous les autres corps de métier qui travaillent dans le cinéma.
D’ailleurs, dans le film, il y a très peu de références à des gens en particulier mais plutôt des références aux clichés et aux codes du cinéma. Tout cela m’a permis de faire une seconde lecture très drôle du film. Les personnages parlent de ce qui est en train de survenir dans l’histoire mais en même temps, ils nous expliquent de quelle manière on faisait du cinéma à leur époque.
Dans notre société, il existe un culte absolu à la jeunesse. Il n’y a pas beaucoup de films dans lesquels les rôles principaux sont incarnés par des personnes âgées. Avez-vous voulu revendiquer la valeur du troisième âge ?
La vieillesse m’a toujours fasciné. Elle est bien présente dans tous mes films. Je pense à Dans ses yeux, Le fils de la mariée ou Luna de Avellaneda. J’aime tourner le regard vers le passé et explorer ce que les gens ont fait de leur vie, les changements qu’ils ont vécus, les objectifs qu’ils s’étaient fixés et ceux qu’ils ont pu atteindre, les rêves qui se sont réalisés et ceux qui ne se sont pas exaucés. Tout cela m’intéresse énormément, en particulier chez ceux qui vivent cette période de leur vie avec intelligence.
Lorsque vous allez au cinéma, quels types de film vous aimez voir ?
J’aime voir tous types de films. Ma palette en tant que spectateur est beaucoup plus large que celle en tant que réalisateur et encore plus que celle en tant que scénariste. Mais si je dois choisir, je préfère les films de la grande époque du cinéma, ceux qui nous font rire et pleurer. Lorsque je me rends au cinéma, je veux être touché et sentir des émotions. Si je ne suis pas touché, le film n’a alors pas grand intérêt pour moi.
Qu’est-ce que vous a le plus manqué pendant le confinement ?
Le public. Et je ne veux pas dire par-là le public qui apprécie mon cinéma et qui n’est peut-être pas si nombreux que ça… Je veux dire aller voir un film entouré de gens qui rigolent tous ensemble. Être dans un théâtre plein comme un œuf et sentir que j’ai fait partie d’une communauté qui s’émeut sur ce qui est en train de se passer sur scène, ça m’a beaucoup manqué. D’ailleurs, cela me manque encore car en Argentine, nous ne sommes pas encore revenus complètement à une situation normale…
Crédits photos : Valeria Fiorini
Retrouvez ici notre chronique de La conspiration des belettes.
FICHE DU FILM
- Titre original : La conspiration des belettes
- De : Juan José Campanella
- Avec : Graciela Borges, Óscar Martínez, Luis Brandoni y Marcos Mundstock, Clara Lago
- Date de sortie : 21 juillet 2021
- Durée : 2h 09 min
- Distributeur : Eurozoom