À l’occasion de la sortie du film Simón de la montaña, Grand prix de la critique en 2024 au festival de Cannes, nous avons rencontré son réalisateur, Federico Luis. Dans cet entretien, le cinéaste argentin évoque avec nous le processus de réalisation de ce film en tout point passionnant, où l’être humain et une certaine idée aussi bienveillante que disruptive sur le handicap sont au cœur du récit.  


Simón, le personnage principal de votre film Simón de la montaña, un jeune garçon qui a des difficultés avec sa famille et à s’adapter au monde qui l’entoure, trouve sa place parmi un groupe de jeunes handicapés. Comment ce personnage est-il né ?

Tous mes personnages de fiction correspondent à des personnes que j’ai rencontrées dans la vie réelle. Je découvre de plus en plus que le cinéma est un langage qui fonctionne beaucoup par synthèse, avec de nombreuses couches de peinture, de versions et de réécritures jusqu’à ce que l’esquisse du personnage soit peaufinée. En ce sens, je pense que Simón est une synthèse des nombreuses personnes avec lesquelles j’ai partagé ma vie au cours des sept dernières années pendant lesquelles nous avons réalisé ce film.

Le doute sur le handicap de Simón est présent chez le spectateur dès le début du film, était-ce quelque chose de clair pour vous lors de l’écriture du scénario ou a-t-il surgi pendant le tournage ?


La façon d’agir de Simón pose immédiatement la question au spectateur. Mais tous les autres personnages du film, y compris Simon, se posent également cette même question. Ce doute sur le handicap de Simón a été présent à chaque étape de la réalisation du film.

D’abord, lors de l’écriture, à travers la construction du personnage, j’ai choisi certains traits de caractère pour laisser planer le doute. La plupart du temps, Simón, par son comportement, semble être deux personnes différentes à la fois.

Lors du tournage, la mise en scène accentue cette idée en plaçant la caméra très près du visage. Avec ce procédé, à tout moment, le spectateur se demande si Simón est comme ça réellement ou s’il fait semblant.

Et puis, concernant le jeu des acteurs, nous avons également travaillé différentes nuances, que nous avons appelées Simón 1, Simón 2 et Simón 10. Je dois dire que c’est un peu la question qui traverse tout le film et c’est généralement la question que l’on me pose le plus à la fin de chaque projection.

Le jeune acteur Lorenzo Ferro est très connu en Argentine. Il joue le rôle de Simón, pourquoi l’avoir choisi ?

Nous sommes amis avec Lorenzo depuis longtemps et nous partageons beaucoup de choses. Nous avons vu de nombreux films ensemble, nous avons échangé des idées et forgé ensemble des opinions sur le cinéma. Dès le début, il devait jouer dans le film, mais dans un rôle qui a ensuite cessé d’exister, celui du frère de Simón.

Lorsque je lui ai demandé pour la première fois s’il voulait être Simón, il a dit non, parce qu’il est très humble et qu’il pensait que c’était un trop grand défi. J’ai accepté sa décision et je ne lui ai pas redemandé, mais quelques temps plus tard, il m’a dit qu’il pourrait jouer le personnage si nous faisions des recherches longues et approfondies. Et c’est ce que nous avons fait.

Au cours de ce processus, nous avons effectué de nombreux tests différents et Pehuén (l’un des acteurs de film, NDLR) qui a également apporté une contribution importante en donnant son avis lorsque le jeu des acteurs lui paraissait réel ou non.

Portrait Federico Luis

« Je pense que l’idée de normalité est un concept qui a perduré à travers le temps sans avoir été remis en question. Il produit une sorte de violence invisible et constante. L’une des plus belles choses que l’on puisse faire avec un film est de la remettre en question »

Comment s’est passée votre incursion dans le monde des personnes handicapées et qu’avez-vous appris d’elles ?

Depuis le début, bon nombre des interprètes avec lesquels j’ai travaillé sur Simón de la montaña m’ont fait penser que le mot « handicap » (du moins tel qu’il est compris en espagnol) est un mot que nous pourrions cesser d’utiliser. Car définir par l’absence n’est pas aussi intéressant que définir par la présence. D’autre part, le mot « handicap » ( discapacitado en espagnol, NDLR) produit une idée binaire qui nous empêche de voir les nuances et les spécificités de chaque personne.

Simón de la montaña se propose d’observer et de réfléchir aux capacités humaines et aux différentes formes surprenantes et mystérieuses qu’elles peuvent prendre.  Le mot que nous cherchons est celui qui nous permet de renverser tout le sens inventé par le mot « handicap ». Nous avons discuté et arrivé à la conclusion que nous préférions le mot « hyperperception ».

Je voudrais également inverser l’idée d’inclusion. C’est une idée qui dit que la société décidera quand inclure ceux qui s’écartent de la norme. Il est plus agréable de penser que c’est l’inverse : que toutes les personnes souffrant de troubles mentaux et physiques particuliers sont toujours prêtes à inclure dans leur monde des personnes plus proches de la norme. Le problème se situe souvent dans l’autre sens.

Pensez-vous que la normalité existe lorsqu’on parle des gens ?

Je pense que l’idée de normalité est un concept qui a perduré à travers le temps sans avoir été remis en question. Il produit une sorte de violence invisible et constante. L’une des plus belles choses que l’on puisse faire avec un film est de la remettre en question.

Le film est tourné à Mendoza. Dès la première scène, on voit un panorama impressionnant des Andes. Pourquoi avoir choisi ce lieu ?

Beaucoup d’éléments qui composent le film ont muté au cours du processus de réalisation. La montagne est le seul élément qui est resté fixe, du début à la fin. C’est un paysage qui met en perspective l’échelle que nous avons, nous les humains, et qui invite à un état de réflexion, de méditation et même de philosophie, ce qui semblait très approprié pour ce film.

Qu’est-ce que le Grand prix de la critique à Cannes a signifié pour vous ?

Comme nous le savons tous, Cannes est un festival où les yeux du monde entier sont rivés. En recevant cette reconnaissance, le plus beau, c’est que le film a pu faire son chemin dans beaucoup plus d’endroits. C’est un film qui a eu beaucoup de mal à exister, non seulement à cause de la situation économique en Argentine, mais aussi à cause des thèmes qu’il aborde. Après sa sortie, le destin du film a changé. Il a été projeté en France, en Italie, en Espagne, en Égypte, en Chine, au Mexique, au Canada, en Roumanie, en Uruguay, au Chili, en Argentine, en Colombie, en Autriche et dans d’autres pays, ce qui n’est sans doute pas étranger à sa reconnaissance à Cannes.

Quels sont vos prochains projets ?

Le prochain film que j’écris s’intitule Le dresseur de chiens. C’est l’histoire d’un homme qui a besoin de s’occuper d’un autre pour trouver un sens à sa propre existence. Les personnages principaux sont un soldat de l’armée nationale, une infirmière et un homme immobile qui, malgré son immobilité, est le meilleur dresseur de chiens d’attaque du pays.

Retrouvez ici notre critique du film Simón de la montaña.

Crédits photo principale : Portrait de Federico Luis © Arizona Distribution