Trois décennies de collaboration avec Paco de Lucía, des albums légendaires enregistrés avec Camarón de la Isla, l’expérience The Spanish Heart Band avec Chick Corea sans oublier sa trentaine d’opus flamenco-jazz en solo et une avalanche de prix prestigieux parmi lesquels le Grammy Award 2020 du meilleur album latin jazz et le Prix du meilleur musicien de jazz européen décerné à Paris en 2013 par l’Académie française du jazz… Pas de doute, Jorge Pardo est une authentique légende du flamenco ! De passage le 8 février au Festival Sons d’hiver pour un hommage à Paco de Lucía, le saxophoniste et flûtiste espagnol a eu la gentillesse de répondre à nos questions…


QTP – Vous serez sur la scène de la MAC de Créteil le 8 février prochain dans la cadre de la nouvelle édition du festival Sons d’hiver. Vous y présenterez Remembering Paco de Lucía, dont on a célébré les 10 ans de la disparition en février 2024. Que pouvez-vous nous dire de ce concert en quelques mots ?

En quelques mots, je dirais qu’à chaque fois que je prends mon instrument, que je monte sur scène pour faire de la musique avec mes collègues, j’ai toujours constamment en moi le souvenir de Paco de Lucía. Je dois préciser que, pour moi, le concept de souvenir ne consiste pas à se souvenir littéralement d’une musique ou d’une personne, mais de vivre avec son esprit, avec l’empreinte qu’il a laissée dans votre vie, dans votre musique. 

Vous avez joué pendant de très nombreuses années dans le Sextet de Paco. Que représentait-il pour vous en tant que musicien, mais aussi en tant qu’homme ?

J’étais très jeune lorsque j’ai commencé à jouer avec lui et ce travail en commun s’est poursuivi pendant de nombreuses années, avec des tournées de plusieurs mois sans rentrer chez moi. Cela a non seulement marqué ma musicalité, car ça m’a ouvert le grand livre du flamenco, mais c’était aussi une expérience de vie. Il était le leader du groupe, mais aussi le grand frère. C’était une expérience musicale très forte, mais aussi une expérience d’apprentissage et de vie déterminante.

Vous souvenez-vous de la première fois où vous vous êtes rencontrés ? 

Oui, j’ai rencontré Paco dans les couloirs de la maison de disques Philips – Phonogram. À l’époque, je jouais avec le groupe Dolores et Paco nous a invités à une séance d’enregistrement improvisée pour son album Paco de Lucía interprète Manuel de Falla. Au final, cette session a été officiellement publiée sur l’album.   

« Paco était le leader, mais un leader très perméable, qui avait besoin d’autres musiciens… »

Artistiquement, Paco et toi étiez fait pour vous entendre, même si vous avez eu des cheminements inverses, du flamenco au jazz pour Paco et du jazz au flamenco pour toi…

Pour moi, il n’y a pas de chemins ou de directions différentes. En réalité, nous avons vécu les choses beaucoup plus naturellement. Nous étions des musiciens qui se cherchaient en allant vers l’intérieur, mais aussi vers l’extérieur, avec nos influences. C’est ainsi que nous avons construit un nouveau langage, un lieu commun où nous pouvions nous comprendre, où il y avait de la tradition, mais aussi de nouvelles sonorités, où il n’y avait pas de peur de se tromper dans une improvisation. Il y avait un désir d’apprendre et c’est là que nous avons évolué. Paco était le leader, mais c’était un leader très perméable, qui avait besoin d’autres musiciens. C’est ainsi que s’est forgée la musique de ce sextet. 

Vous avez participé en février 2024 au Paco de Lucía Legacy Festival à New York. Al Di Meola, Rubén Blades, Diego « El Cigala », José Mercé, Carmen Linares, Rafael Riqueni, Niño Josele, Farruquito, Rafael Riqueni, Alain Pérez, Carles Benavent et des dizaines d’autres artistes de toutes générations étaient présents. Ça a dû être intense en musicalité et en émotions, non ?

J’ai participé à plusieurs hommages à Paco de Lucía dans différentes parties du monde. Comme je l’ai expliqué, chaque fois que je monte sur scène, c’est un hommage à Paco. Cet hommage à New York a été effectivement spécial de par sa forme et son contenu, notamment en raison de l’importance de l’événement et du nombre d’artistes présents… C’était un peu à l’image des gratte-ciels new-yorkais. Je dois cependant admettre que le premier hommage que nous lui avons rendu à Playa del Carmen, peu de temps après sa mort, était beaucoup plus sincère et spontané. Dans tous ces hommages, ce qui prévaut, c’est l’esprit de l’artiste auquel on rend hommage, et avec Paco, c’est facile parce qu’il est toujours présent.

Pour revenir au concert du 8 février, là aussi, il y aura sur scène des musiciens de plusieurs générations. Pour les “anciens”  comme vous ou Carles Benavent, c’est aussi un moyen de transmettre aux plus jeunes votre histoire, votre héritage ?

En effet, plusieurs générations d’artistes se côtoient, ce qui est une constante dans le flamenco. Dans toutes les musiques vivantes, la transmission générationnelle est vitale. À chaque fois, de nouvelles idées, de nouveaux personnages, de nouveaux sons s’ajoutent à la tradition. Cela s’additionne toujours. Il y a un dicton espagnol qui dit Dios los cría y ellos se juntan (qui se ressemble s’assemble, NDLR ) et qui reflète bien ce qui se passe dans le flamenco et ce que sera l’esprit de ce concert à Paris. 

C’est une question difficile, mais de tous les morceaux sur lesquels vous avez joué avec Paco, lesquels occupent une place à part dans votre cœur ?


En effet, c’est une question difficile. Lorsque vous commencez à penser à une chanson de Paco, vous pensez immédiatement à une autre qui efface celle que vous aviez en tête et ainsi de suite. Il y a beaucoup de sons qui se recoupent, il est évident que la rumba Entre dos aguas lui a conféré une popularité que les musiciens de flamenco n’avaient généralement pas jusqu’alors, mais j’ai aussi très présente à l’esprit toute cette musique qui était jouée de façon informelle dans la loge et qui n’a pas toujours eu la chance de voir le jour. Je me souviens très bien, par exemple, du compás por bulerías de Paco, qu’il jouait avec énergie et de la musique des gitans andalous, la tumbona ou encore de sa musique dans sa forme plus relachée, comme avec la rondeña qu’il avait l’habitude de jouer au début du concert de manière lente. Douce mais violente à la fois. Bref, il y a plusieurs Paco dans le même Paco.

Retrouvez ici notre chronique du festival Sons d’hiver.


INFORMATIONS PRATIQUES


Affiche festival Sons d’hiver (2025)
  • TITRE : Festival Sons d’hiver
  • LIEUX : Val-de-Marne et Paris
  • AVEC : Cosmic Ear, Hamid Drake, Irreversible Entanglements, Edward Perraud Trio, Louis Sclavis, Dave Douglas, Researching has no limits, Kris Davis Trio, Trio Aymeric Avice, Luke Stewart, Chad Taylor, Ambrose Akinmusire, Abysskiss, Isaiah Collier, Ya Voy!, Le Bal de Petite Lucette, African Jazz Roots, Gonzalo Rubalcaba & Pierrick Pédron, Mariam Rezaei, Julien Desprez, Jerron Paxton, Staples Jr. Singers, Niño de Elche, Jorge Pardo, Discobole Orchestra, Lagon Nwar, Sylvie Courvoisier, Tyshawn Sorey Trio, Miss Tahloulah May, King Britt, Charlie Dark
  • DATES : Du 24 janvier au 15 février 2025
  • RENSEIGNEMENTS : www.sonsdhiver.org
  • TÉLÉPHONE : 01 46 87 31 31