À l’occasion de la publication de Patria, à la fois phénomène littéraire et social en Espagne, nous avons interviewé son auteur, Fernando Aramburu. L’écrivain basque nous dévoile les dessous de la construction de ce roman polyphonique qui n’a pas fini de remuer les consciences et de marquer les esprits. Entremêlant vie intime et grande Histoire, Patria nous éclaire autant sur les victimes de l’ETA que sur ses bourreaux.
Votre dernier roman Patria, publié chez Actes Sud, relate l’histoire de deux familles amies séparées par le terrorisme de l’ETA. Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
Ce roman s’est construit au fur et à mesure des années dans ma tête. L’annonce de la fin de la violence par l’ETA, en octobre 2011, m’a mis sur la piste pour commencer à construire mon argumentaire. J’ai compris que pour tracer un portrait général de l’histoire du Pays basque, il était important de doter le roman d’un large éventail de personnages principaux.
Dans Patria, vos personnages sont d’une humanité désarmante. Était-il important de les caractériser dans toutes leurs nuances et d’éviter de les présenter uniquement en victimes et bourreaux ?
Tout à fait. Je pense que le plus important dans un roman, ce sont les personnages. Ils ne sont pas définis dès le début, l’écrivain leur donne un contenu humain au fur et à mesure que l’histoire avance. Plus le contenu est varié et complexe, mieux c’est. Tout – temps, actions, dialogues – tourne autour des personnages. Ma tâche consistait à les faire vivre ensemble avec l’aide de la littérature.
Les femmes ont un grand poids dans votre roman, les mères Bittori et Miren mais également les filles, Arantxa y Nerea…
J’ai vite réalisé que l’histoire coulait d’une façon très intense grâce à elles. Pour moi, ce n’était pas tant raconter des événements que montrer de quelle manière certains faits ne sortent pas de la sphère privée. En ce sens, les femmes ont une complexité psychologique qui font d’elles des personnages en parfaite adéquation avec l’histoire que je voulais raconter.
Patria décrit une société rongée par le nationalisme, renfermée et hypocrite, qui met à l’écart les victimes et hisse au rang de héros les terroristes. Mais le roman parle aussi des tortures policières et surtout du pardon. Vous a-t-il été difficile de traiter de tous ces sujets ?
Non, La réalité est là. Elle n’attend qu’à être dévoilée par les historiens et les romanciers. Il suffit juste de ne pas fermer les yeux face à elle.
Dans le roman, le personnage du père Don Serapio représente la complicité de l’Église Basque avec le nationalisme. Avez-vous connu un personnage comme Don Serapio ?
J’ai connu de près plus d’un Don Serapio. Plus précisément, l’un d’entre eux, dont je ne pense pas révéler le nom, a été source d’inspiration. Lorsque j’ai présenté Patria dans différentes villes du Pays basque, personne dans le public ne m’a interrogé sur le personnage du curé. Tout le monde sait qu’ils sont nombreux parmi nous.
« Le pardon est un antidépresseur très efficace mais je pense qu’on ne peut l’exiger de personne »
Vous avez reçu le Premio Nacional de Narrativa 2017 et le roman a été un succès sans précédent en Espagne. Mais vous avez aussi fait l’objet de critiques. Les attendiez-vous ?
Je ne m’attendais pas à cet énorme succès. Jusqu’à présent, j’habitais à l’étranger et mes lecteurs étaient des gens présentant un fort intérêt pour la littérature. Le succès, ce sont les autres qui le décident. Pour ce qui est des critiques des nationalistes, je les reçois comme un honneur.
Croyez-vous qu’une partie de la société Basque a renoncé définitivement à la violence ?
C’est un fait que pour le moment, il n’y a plus de terrorisme. Mais rien ne garantit qu’il ne revienne dans le futur.
Croyez-vous au pouvoir de la littérature d’exorciser les démons d’une société ?
C’est très difficile à mesurer. Pour qu’un roman inspire une société, il doit être lu par beaucoup de gens, chose rare, et le dialogue qui s’établit reste entre l’auteur et le lecteur. Mais c’est vrai que le langage, et avec lui les idées et les formes esthétiques, font leur chemin dans la conscience. De ce fait, il se peut que certains livres aident à introduire de la lucidité (ou du poison) dans le débat général. Cela dit, je ne pense pas qu’un livre puisse résoudre les problèmes d’une société.
Le pardon est-il une nécessité ?
Le pardon est un antidépresseur très efficace mais je pense qu’on ne peut l’exiger de personne. C’est facile de faire des théories quand on n’est pas à la place de l’orphelin ou de la veuve de l’homme assassiné. Si j’étais directement concerné, même en sachant que le pardon offre réconfort et paix, je ne peux pas affirmer que je serais en mesure de pardonner.
Propos recueillis par : Elena Paz Pérez
Crédits photos : Ivan Giménez – Tusquets Editores
INFOS ÉDITEUR
- Titre original : Patria
- Langue originale : Espagnol
- Traducteur : Claude Bleton
- Date de sortie : 18 mars 2018
- Pages : 624
- Éditeur : Actes Sud
- Premio Nacional de Narrativa
- Premio de la Crítica
- Premio Giuseppe Tomasi di Lampedusa
- Premio Strega Europeo
- Premio per la Cultura Mediterranea