À l’heure où Gustavo Petro, premier président de gauche de l’histoire de la Colombie, peine à mettre en œuvre sa politique de paix totale visant à désarmer les dissidents des FARC encore actifs dans plusieurs régions du pays, ce reportage d’ARTE nous montre à quel point les fractures occasionnées par plus d’un demi-siècle de guerre civile sont profondes et difficiles à panser.


Un traumatisme toujours présent

Dans la région du Catatumbo, au Nord-Est de la Colombie, d’anciens protagonistes de la guerre ayant opposé l’armée régulière, les Forces armées révolutionnaires et les paramilitaires d’extrême droite partent à la recherche des corps de leurs compagnons d’armes morts au front.

« Ces gens étaient nos compagnons de lutte. Ils étaient comme notre famille, ça nous fait du mal de les savoir au milieu de nulle part et c’est comme ça pour beaucoup de guerilleros enterrés sur le territoire national… » témoigne ainsi un ancien membre des FARC.

Mais quel que soit le camp auquel appartenait la victime, un devoir de mémoire s’impose et une recherche s’effectue pour contacter ses proches, pour qu’ils sachent quels furent ses derniers instants, ce qu’il s’est éventuellement passé.

Des fouilles qui participent au travail de réconciliation nationale, un processus difficile et complexe qui s’inscrit dans la durée. Avec ses 450 000 victimes, ce conflit est le plus sanglant de l’Histoire de l’Amérique latine et laisse derrière lui une nation traumatisée.

Le témoignage d’un fils de victimes des FARC illustre à quel point le chemin menant à la réconciliation peut être long et douloureux. Ses parents, enlevés dans l’objectif d’obtenir une rançon, ont été torturés et assassinés. Depuis 20 ans, il cherche le corps de son père, celui de sa mère ayant été retrouvé il y a deux ans. Aux côtés d’un ancien sympathisant des FARC, il enquête et recueille des témoignages pour savoir ce qui a pu se passer et peut être enfin retrouver le corps de son père…

Le choix d’une justice restaurative

S’inspirant du modèle mis en place en Afrique du Sud suite à l’apartheid, le modèle de justice transitionnelle issu des accords de paix de 2016 préconise que les responsables de crimes de guerre ont un devoir de vérité et de réparation envers les victimes.

« La Colombie a opté pour un modèle de justice restaurative et non pour un modèle punitif ou un modèle carcéral… Le modèle de justice restaurative place les victimes au centre, répare les dommages qui leur ont été causé et nous permet également de parvenir à une paix stable et durable » explique Camilo Andrés Suárez Aldana, magistrat au sein de la juridiction spéciale pour la paix.

Ainsi, selon leur degré d’implication, les anciens FARC peuvent bénéficier de remises de peine s’ils demandent pardon et prouvent leur volonté de réparation à l’encontre des victimes, notamment en révélant toute information permettant de retrouver les corps de disparus.

Pour autant, si 13 000 FARC ont déposé les armes en 2016, plusieurs unités s’y sont refusé comme Frente 33 qui opère à la frontière du Venezuela. Pour ces FARC dissidents, aucun des problèmes sociaux contre lesquels ils ont toujours lutté n’ont été résolus par le gouvernement. Dans ces zones rurales reculées, l’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi, pourtant au cœur des négociations en 2016, n’a pas été respecté.

Ainsi, pour les populations locales, l’espoir suscité par les accords de paix de 2016 s’est progressivement étiolé et de nombreux jeunes font aujourd’hui le choix de rejoindre la lutte armée. « Le gouvernement parle de paix, mais tant qu’on aura faim, il n’y aura pas de paix » déclare une femme originaire du Catatumbo.

Un difficile retour à la vie civile

Même si le gouvernement a fait le choix d’une justice restaurative, le retour à la vie civile des anciens membres des forces armées révolutionnaires s’avère souvent compliqué. Beaucoup d’entre eux éprouvent une nostalgie de leurs années de lutte et réprouvent ce sentiment de chacun pour soi qui émane de la société dans laquelle ils doivent maintenant s’intégrer. Ils ont déposé les armes, mais leurs convictions politiques restent intactes et s’exacerbent même au contact de cette nouvelle réalité.

Dans ce contexte, pour les FARC, obtenir le pardon des victimes est une gageure : « Parler de réconciliation dans les accords de paix, c’est une chose. Mais s’y confronter en est une autre. Personne n’est préparé à ça… » explique un ancien sympathisant des FARC engagé dans ce processus.

Une réconciliation impossible ? Entre des victimes qui estiment que les FARC s’en tirent à très bon compte, des menaces de mort de groupes paramilitaires pesant sur d’anciens guérilleros ou la difficulté d’établir un dialogue entre les deux parties, la paix semble fragile et le chemin vers la réconciliation encore très long…

Vidéo Colombie, l’impossible réconciliation ? sur Arte (2024)