Il est l’un des jeunes réalisateurs les plus en vogue du nouveau cinéma mexicain. Après l’énigmatique et captivant La région sauvage, Amat Escalante est de retour avec Lost in the night, un film sur la quête de justice d’un jeune issu d’un milieu défavorisé et qui fait face à une famille d’artistes fortunés. Dans cette interview, Amat Escalante évoque la genèse du film, son choix de travailler avec des acteurs professionnels ainsi que sa collaboration avec Netflix pour la série Narcos Mexico.
Lost in the night est un thriller social qui prend place au Mexique et qui raconte la disparition d’une femme. Mais le film est surtout la quête inlassable du fils pour retrouver sa mère et élucider ce qui lui est arrivé. Comment est née l’idée de faire ce film ?
J’ai écrit le scénario avec mon frère Martín à l’époque du confinement. À ce moment, j’avais comme la plupart d’entre nous plus de temps libre et je me suis consacré principalement à la lecture. Je souhaitais faire un film, pas tant sur le thème des disparitions qui, finalement, est un sujet très présent dans Lost in the night, mais surtout sur le thème de la violence comme fruit des inégalités entre classes sociales. Je voulais explorer les terribles inégalités et injustices qui subsistent dans le Mexique de nos jours.
Au tout début, j’avais en tête la disparition en 2014 à Iguala des quarante-trois étudiants, l’affaire Ayotzinapa, mais rapidement, j’ai réalisé que je n’étais pas encore prêt à aborder cette histoire. Par contre, dans Lost in the night, on peut dire qu’il y a à l’image de cette affaire, la disparition de quelqu’un qui se bat pour une bonne cause, pour une société plus juste.
Paloma est une activiste et enseignante appartenant à la classe populaire, une femme vulnérable. Le choix de ce personnage déclencheur de l’histoire était très important pour moi. Elle me permet de montrer ce que ressent la population mexicaine, les sentiments de désespoir, d’impuissance et de frustration.
Le film aborde aussi des sujets d’actualité…
Oui, pendant le processus d’écriture, j’ai aussi souhaité incorporer des sujets très contemporains comme la célébrité, les réseaux sociaux, l’art et la création artistique qui s’inspire bien souvent de la réalité quotidienne. Par rapport à ce dernier point, je ne veux pas faire des jugements, c’est comme ça que fonctionne l’art, il puise souvent dans la réalité du moment, on le voit dans la peinture, la littérature ou la musique.
Moi-même, en tant que réalisateur de cinéma, je me sers du quotidien pour mes films. On se sert de la tragédie pour raconter des histoires, mais parfois, des questionnements moraux peuvent surgir sur l’exploitation de ces sujets. Avec le personnage de l’artiste Rigoberto Duplas, j’ai vraiment souhaité explorer ce thème.
« Maintenant, c’est plus difficile de se faire repérer et gagner des prix avec un premier film »
Dans Lost in the night, vous abordez des thèmes tels que le mal, la justice, l’inégalité entre les classes sociales. Parmi ces trois thèmes, lequel vous a inspiré le plus ?
Faire ce film m’a pris beaucoup de temps, en particulier le processus d’écriture. Ce qui m’a inspiré le plus, c’est le personnage principal, Emiliano. Il a été moteur pour mon inspiration ainsi que dans l’avancement de l’écriture du scénario. Le fait de le faire rentrer dans cette maison habitée par une famille d’artistes de la haute société, dans un univers qui n’est pas le sien, a été très intéressant pour moi. Le contraste entre les deux mondes est saisissant. Une autre source d’inspiration importante, c’est aussi cette maison au bord du lac et cette famille qui s’y est installée, loin de son milieu d’origine.
On pourrait presque parler de cercles concentriques qui s’avalent les uns aux autres, un peu comme le tatouage du personnage de Carmen (Barbara Mori), une vipère qui se mord la queue. C’est cette sorte d’impossibilité d’exister en dehors de leurs mondes qui est devenue presque obsessionnelle pour moi.
Contrairement à vos œuvres précédentes, vous avez choisi de travailler avec des acteurs professionnels tels que Barbara Mori, Ester Expósito, Juan Daniel Garcia Treviño et Fernando Bonilla. Quelles étaient vos motivations ?
J’avais l’excuse parfaite. Pour interpréter leurs rôles respectifs, j’avais besoin d’acteurs déjà connus ou de célébrités dans leurs domaines. En particulier en ce qui concerne les deux personnages féminins, une actrice et une jeune instagrameuse. Les deux rôles sont interprétés par deux actrices très connues, dont l’une est aussi effectivement instagrameuse. Pour moi, c’est important. C’est comme ça que je travaille dans tous mes films, j’ai besoin de cette authenticité, de cette vérité qu’apporte le vécu.
J’ai aussi eu l’occasion de tourner plusieurs épisodes de la série Narcos Mexico avec de nombreux acteurs professionnels venant de différents univers. Je souhaitais réitérer cette expérience dans mon cinéma. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir compter sur ces deux actrices, Ester Expósito et Barbara Mori. Esther est quelqu’un de très professionnel et elle s’est donnée à corps perdu dans l’interprétation de son personnage. Pour ce film, nous nous sommes fait confiance mutuellement ainsi qu’avec le reste des acteurs. Le travail a été très facile et agréable.
Ça a été une très bonne expérience, très semblable à quand je travaille avec des acteurs non-professionnels. L’unique différence est qu’avec les acteurs non-professionnels, je dois souvent changer les dialogues pour les accommoder à leur façon de s’exprimer tandis qu’avec les acteurs professionnels, il n’y a pas eu besoin de changements importants dans ce sens. Tout a ses avantages et inconvénients.
En parlant de Narcos Mexico. Comment s’est déroulée cette expérience ?
À cause de la Covid, j’ai fini par faire plus d’épisodes que ce qui était prévu initialement. En même temps, je ne pouvais pas faire de films dans les conditions imposées par les protocoles sanitaires. C’était trop cher. Narcos Mexico a été une expérience novatrice et très différente à ce que j’avais l’habitude de faire dans mes films. Il y avait une équipe énorme avec une production gigantesque, hybride entre les États-Unis et le Mexique, et même française, car les producteurs de Narcos Mexico ce sont les Français Gaumont.
J’ai connu des techniciens et des artistes avec lesquels j’ai travaillé plus tard dans Lost in the night, comme mon assistant de réalisation, le français Frederic Enocque. Également, l’un des personnages du film, Rigoberto, interprété par Fernando Bonilla est l’un des acteurs de la série. Et à l’inverse, j’ai fait venir Juan Daniel Garcia Treviño que je connaissais d’avant dans Narcos Mexico pour incarner l’un des amis du Chapo Guzman en prison. C’était la première fois que nous travaillions ensemble.
Pour mes prochains films, je voudrais faire quelque chose de plus petit, quelque chose dans la lignée de mes précédents long métrages.
Vous avez remporté le prix du meilleur réalisateur au Festival de Cannes pour Heli et le Lion d’argent du meilleur réalisateur pour La région sauvage. Que signifient ces récompenses pour vous ?
Dès mes débuts, les prix ont été très importants. Le festival de Cannes a été clé pour mon premier et mon second long métrage, Sangre et Los Bastardos. Sans oublier, bien sûr, le prix du meilleur réalisateur pour mon troisième film, Heli. C’est très émouvant mais aussi une véritable aide pour la distribution. Je me sens très chanceux. Au final, ce n’est pas une récompense individuelle, mais collective, de toute une équipe.
Aujourd’hui, les choses ont changé pour les primo réalisateurs. Il y a moins de festivals qu’en 2005, quand j’ai commencé. Maintenant, c’est plus difficile de se faire repérer et de gagner des prix avec un premier film. Surtout que ceux qui commencent ont besoin, plus que tout autre, de montrer leur travail. C’est très dommage.
Retrouvez ici notre chronique du film Lost in the night.
Crédits photo principale : Amat Escalante © Oscar Fernández Orengo