Tout le monde s’en va (2006), tel était le titre lapidaire du premier roman de l’écrivaine et romancière cubaine Wendy Guerra. Dans ces pages, elle évoquait l’exode massif des Cubains en quête d’un meilleur avenir. Mais Vicenta B, le personnage principal du troisième long métrage de Carlos Lechuga, a décidé quant à elle de rester sur l’île qui l’a vue naître. Celui qui part, c’est son fils, Carlitos. Pour cette santera réputée de la vieille Havane, son absence est difficile à encaisser.
Vicenta ou la solitude d’une mère
La vie de Vicenta – ou de Centa pour ses proches – n’est plus la même depuis le départ de son fils. Elle pense même avoir perdu ses pouvoirs de voyance, comme si les esprits qui avaient été à ses côtés pendant des années s’étaient mis à la fuir du jour au lendemain. Enfin, pour ne rien arranger, elle ne se sent plus non plus capable de recevoir sa clientèle…
Selon les mots du réalisateur cubain, Vicenta B « C’est surtout l’histoire d’une femme forte dans un pays en pleine crise. Et qui elle-même est en pleine crise existentielle lorsqu’elle perd son don. L’histoire de Vicenta et celle de Cuba sont intrinsèquement liées. »
Pour incarner l’héroïne de ce nouveau film, Carlos Lechuga a choisi une femme noire, l’actrice cubaine Linnett Hernández Valdés. Il y a dans ce choix quelque chose d’inédit si l’on considère que dans la majorité des films, l’univers des femmes noires ou caribéennes est le plus souvent rattaché à des problématiques matérielles. Pour ce jeune cinéaste, considéré comme une référence du cinéma indépendant cubain, « ce sont des problèmes qui transcendent les origines ou les classes sociales. Et montrer ce trouble chez une femme noire de Cuba était l’une de mes envies premières. »
Immigration et pauvreté
Depuis des décennies, Cuba connaît une forte immigration motivée par la promesse d’un ailleurs meilleur. Mais ces dernières années, la situation a encore empiré. En effet, les Cubains fuient leur île, pour la plupart vers les États-Unis, dans ce que le site du journal El País qualifie désormais comme la plus grande migration depuis les années 1960.
En ce sens, Carlos Lechuga affirme « À l’heure actuelle, la situation est terrible à Cuba. Il n’y a pas que les jeunes qui partent. Tout le monde veut fuir cette crise ; quand un pays perd ses enfants, mais essaie de construire, de créer, il y a quelque chose de contreproductif. C’est comme s’il mourrait à petit feu. Dans le film, le pays n’est plus peuplé que par des personnes âgées. Il faut savoir qu’en un an, énormément de Cubains sont partis à l’étranger. C’est sans commune mesure par rapport aux années précédentes. Les familles se retrouvent divisées, c’est terrible. Si l’on ajoute à cela ceux qui sont morts en mer pour fuir le pays, alors on a une petite idée de ce que Cuba vit actuellement. C’est très triste et le film est le reflet de cette réalité. »
Maisons quasiment en ruines, mais au charme certain, ruelles qui semblent ne mener nulle part, peintures délavées par le temps, la caméra de Carlos Lechuga, nous montre une Cuba vieillissante à la beauté presque irréelle. Un pays appauvri où les traditions chamaniques permettent de surmonter les épreuves du quotidien, à fortiori dans la population afro-caribéenne.
Crédits photos : Paname Distribution (photo de couverture)
FICHE DU FILM
- Titre original : Vicenta B
- De : Carlos Lechuga
- Avec : Linnett Hernández Valdés
- Date de sortie : 11 octobre 2023
- Durée : 1h17
- Distributeur : Bobine Films