Après avoir surmonté de nombreux obstacles, créé sa propre maison de production, Tortilla Films et tourné en pleine pandémie dans un Madrid dépeuplé, quasi crépusculaire, Andrea Bagney a enfin pu réaliser l’un de ses rêves les plus chers : tourner son premier long métrage. Nous avons pu échanger avec cette cinéaste talentueuse qui signe avec Ramona fait son cinéma une comédie lumineuse, d’une fraîcheur et une spontanéité de tous les instants.
Ramona raconte l’histoire d’une trentenaire en plein crise existentielle qui souhaite devenir actrice, mais également mère tout en obtenant son diplôme de traductrice et en arrêtant de fumer… Comment l’idée de faire ce film est-elle née ?
L’idée du film m’est venue lors d’un cours d’interprétation auquel je m’étais inscrite. J’ai toujours été fascinée par la relation entre les réalisateurs et les acteurs. Le personnage de Ramona, qui rêve d’être actrice mais refuse un premier rôle quand elle prend conscience que le réalisateur est amoureux d’elle, vient de là…
Une fois le personnage en tête, je suis tombée d’une certaine façon amoureuse de Ramona. J’ai été captivée par son innocence, par sa spontanéité, par sa façon d’être positive même quand tout va clairement mal pour elle. À mes yeux, Ramona méritait d’endosser le rôle principal d’une comédie américaine des années 50 et j’ai construit le scénario dans ce sens-là. J’ai voulu transformer Ramona, une fille un peu perdue, de mon âge et qui vit à Madrid, en une star de l’âge d’or d’Hollywood.
C’est une comédie dans le style des comédies classiques de Billy Wilder ou de Woody Allen, dans lesquelles les dialogues, les situations et le rythme sont très importants. Quelle a été la chose la plus difficile dans l’écriture du scénario ?
J’ai beaucoup aimé le processus d’écriture… Une fois que j’ai su qui étaient mes personnages, je les ai laissés s’exprimer en moi. On peut dire que j’ai retranscris leurs voix. Lors de l’écriture, la partie la plus difficile est de décider ce qu’il est nécessaire de dire au spectateur pour qu’il comprenne l’histoire sans non plus lui donner trop d’explications… Je ne sais jamais si la frontière entre le mystère – essentiel pour le cinéma – et la clarté est à sa place. Je me suis posé beaucoup de questions en ce sens.
« Ramona est un peu un miracle… c’était un risque, mais je pense que l’art véritable vient de ces situations dans lesquelles on se trouve au bord du précipice »
Pour quelles raisons avez-vous décidé de tourner en 16mm et en noir et blanc ?
La première fois que j’ai imaginé Ramona se baladant à Madrid, je l’ai de suite vue en noir et blanc, comme un personnage de Billy Wilder. Je souhaitais que Ramona ressemble à une grande actrice hollywoodienne des années 1940. La décision de tourner en 16 mm a peut-être été la plus importante pour le film. Ramona est un hommage au cinéma en tant que tel, à l’acte de tourner, à la valeur du matériel que nous produisons. Donc, tourner en argentique – comme le furent tous ces films auxquels nous voulions rendre hommage – était fondamental.
D’ailleurs, je pense que la magie du film vient en grande partie de l’argentique car il détermine la manière de tourner et de préparer les plans. Nous n’avons fait que deux prises, parfois une seule, et cela signifie que lorsqu’on entendait le mot « action », nous étions tous engagés à 100%, en invoquant les dieux du cinéma. Ramona est un peu un miracle… c’était un risque, mais je pense que l’art véritable vient de ces situations dans lesquelles on se trouve au bord du précipice.
Madrid, votre ville, est un personnage à part entière du film…
À mes yeux, le lieu où prennent place les histoires joue toujours un rôle important. En outre, avec Ramona j’ai souhaité rendre hommage à ma ville, la montrer au monde tout comme une multitude de cinéastes l’ont fait avec Paris ou New York. Je souhaitais pouvoir dire au public : « Regardez Madrid, quelle belle ville, quel endroit merveilleux pour tomber amoureux ».
Lorsque j’ai écrit le scénario, j’imaginais un film très urbain, avec plein de monde dans les rues, notamment à Lavapiés, le quartier de Ramona. Mais nous avons tourné en pleine pandémie, au printemps 2021, dans une ville complètement vide. C’était un peu comme si nous nous étions déplacés à Cinecittá et avions construit un décor madrilène pour l’occasion. Au final, je pense que cela a profondément influencé le ton du film. D’une certaine façon, il s’apparente à un conte de fées, comme si toute cette histoire avait été rêvée par Ramona.
Lourdes Hernández, la chanteuse de Russian Red que vous avez découverte à travers une vidéo YouTube, incarne Ramona avec beaucoup de talent. Comment cela s’est-il passé entre vous ?
Lourdes a été un cadeau de la vie qui m’est tombé dessus. Elle a un talent incroyable, doublé d’une énergie vitale que je n’ai vue chez personne d’autre. Je lui suis très reconnaissante de s’être mise ainsi au service du film, car le personnage, au final, a été une création entre les deux.
Vous êtes parvenue à montrer qu’en dépit d’un manque de moyens, il est tout à fait possible de réaliser un bon film. Qu’est-ce que le tournage de Ramona a signifié pour vous en sachant que les prises étaient limitées ?
Je dois dire que Ramona n’est pas le film que j’imaginais, mais le film que j’ai pu tourner. Lors du tournage, j’ai découvert des choses que j’ai emportées avec moi et que je souhaiterais utiliser dans mes futurs projets. La contrainte de ne pouvoir faire que quelques prises est devenue pour moi essentielle, c’est une façon de travailler. Si avec Ramona, je l’ai fait par nécessité, je souhaite à l’avenir continuer à le faire par méthodologie.
J’ai compris que le risque doit faire partie intégrante du processus de réalisation d’un film. À la fin, si vous éliminez le risque, vous éliminez la magie et la possibilité de créer quelque chose de vraiment nouveau. Cela n’a rien à voir avec l’argent dont on dispose, mais avec l’esprit dans lequel les choses se font. Pour mon prochain film, j’aimerais tourner en 35 mm, avec beaucoup plus d’argent, beaucoup de couleurs, beaucoup d’acteurs… mais en ne faisant à nouveau que très peu de prises.
Quels sont vos prochains projets ?
Avec Lourdes, on écrit ensemble une série musicale inspirée de sa vie. J’ai aussi un nouveau long métrage en tête, mais je ne me suis pas encore posée pour l’écrire. C’est encore au stade de la réflexion et cela prendra forme petit à petit…
Retrouvez ici notre chronique du film Ramona fait son cinéma.
Crédits photo principale : Andrea Bagney © UFO Distribution
FICHE DU FILM
- Titre du film : Ramona fait son cinéma
- De : Andrea Bagney
- Avec : Lourdes Hernández, Bruno Lastra, Francesco Carril
- Date de sortie : le 17 mai 2023
- Durée : 1h20
- Distributeur : UFO Distribution