De retour sur les planches du Théâtre Antoine pour interpréter pour la seconde année consécutive le rôle de Carla dans Drôle de Genre de Jade-Rose Parker, la sémillante Victoria Abril a trouvé un moment entre deux représentations pour répondre à nos questions. Au menu, des sujets tels que la tolérance, l’humour, la marginalité et l’identité de genre qui sont au cœur de cette (d)étonnante comédie qu’est Drôle de Genre.
Victoria, en 1977, vous incarniez dans Cambio de sexo de Vicente Aranda un jeune garçon qui prend conscience de son désir de devenir femme. Le rôle de Carla vous était prédestiné ?
Cambio de sexo est le premier des treize films que j’ai fait avec Vicente Aranda, mon maitre-phare absolu ! C’est ce film qui m’a fait devenir actrice plutôt que ballerine classique. Il raconte l’histoire d’un garçon de dix-huit ans, José María, qui rêvait d’être une fille et qui perdra la vie à Casablanca au bloc opératoire où il allait devenir María José.
Le rôle de Carla, qui à la base n’était pas écrit pour moi, m’a tout de même servi de revanche thérapeutique quarante-cinq ans après !
Carla, qui avant s’appelait Carlos, est une transgenre de soixante ans qui, dans le secret, a réussi sa vie en tant que femme, épouse et même mère adoptive… Jusqu’au jour où, au début de la pièce, elle apprend à son mari qu’elle a un cancer de la… prostate ! Coup de tonnerre ! Comme un éclair rétroactif sur trente ans de vie commune, l’amour conjugal, parental et même filial s’ébranle sous les yeux incrédules de spectateurs hilares qui sont pris à partie et penchent librement tantôt pour François, tantôt pour Carla…
Au fil de votre carrière, vous avez souvent flirté avec les thèmes de la différence et de la marginalité. Quelle résonance ces thèmes ont-ils pour vous ?
Déterminante, dans ma vie comme dans ma carrière… On ne naît pas femme ou actrice, on le devient ! Comme me disait Vicente Aranda à propos de ses personnages marginaux et dramatiques, les gens heureux n’ont pas d’histoire…
« Il n’y que l’amour dans l’humour et le respect de l’autre qui sont nos alliés pour contrer au mieux le fantôme de l’intolérance… »
Dans Drôle de genre, vous faîtes votre entrée sur le lac des cygnes et finissez un tour de danse classique par un grand écart parfait… C’est une petite touche personnelle que vous avez apportée à la pièce ? Car ce n’est pas donné à tout le monde de faire ça…
Il faut dire que j’ai fait de la danse classique de huit à quatorze ans, mais après avoir joué dans Cambio de Sexo, j’ai raccroché mes pointes pour devenir actrice. Et quarante-cinq ans plus tard, j’ai décroché mes pointes pour offrir à Carla sa seule « minute heureuse » de la pièce, c’était mon rêve d’enfant de devenir ballerine ! La souplesse que t’apprend la danse, c’est comme le vélo, ton corps ne l’oublie pas avec le temps.
Avec Lionnel Astier, vous formez un duo détonnant, plein d’énergie, les répliques fusent et vous ne vous épargnez rien… On a l’impression que vous êtes comme vos personnages, que vous vous connaissez par cœur depuis trente ans…
Bueno ! Ça fait quatorze mois qu’on joue la pièce avec Lionnel Astier, qui joue mon mari François, un vieux loup de la politique en tête des sondages pour emporter la Mairie. C’est un irrésistible mari bougon que j’adore. Et le couple explose quand il apprend que sa femme est en fait une transsexuelle. C’est là que la comédie de la vie devient un cauchemar et une tragique rigolade pour le public. À sa décharge, il faut dire qu’il y a toujours des non-dits dans un couple, mais là, c’en est un gros !
Au-delà de l’humour, Drôle de genre invite à prendre en considération tous les points de vue, celui d’une transsexuelle prise au piège d’un mensonge qui n’en est pas vraiment un, celui d’un « vieux réac coincé du cul… » obnubilé par le qu’en-dira-t-on, celui d’un jeune ambitieux pour qui « l’identité de genre n’est pas un sujet » mais qui s’en empare à la première occasion… La tolérance, au final, c’est moins une idée qu’un travail sur soi-même et les autres au quotidien ?
Au-delà de l’humour, ingrédient indispensable dans ces temps de censure et de restriction des libertés, il n’y que l’amour dans l’humour et le respect de l’autre qui sont nos alliés pour contrer au mieux le fantôme de l’intolérance, source inépuisable des malheurs de notre société… Donc, fraternisons !
Quels sont vos prochains projets ?
Continuer avec cette usine à bonheur qu’est Drôle de Genre ! Grâce au succès public depuis son lancement en février 2022, nous revoilà sur Paris au théâtre Antoine jusqu’au 13 mai 2023… On aura dû attendre deux ans pour pouvoir jouer Drôle de Genre, à cause des fermetures des théâtres et des passes sanitaires…
Retrouvez ici notre chronique de Drôle de Genre.
Crédits photos : Victoria Abril © Pascalito
INFORMATIONS PRATIQUES
- TITRE : Drôle de genre
- DE : Jade-Rose Parker
- MISE EN SCÈNE : Jérémie Lippmann
- AVEC : Victoria Abril, Lionnel Astier, Axel Huet et Jade-Rose Parker
- LIEU : Théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg 75010 Paris M° Strasbourg Saint-Denis
- DATES : du 8 mars au 13 mai 2023
- HORAIRES : du mardi au samedi à 21h, relâche les 4, 11 et 18 avril
- PRIX : 14-63 €
- RENSEIGNEMENTS : Théâtre Antoine
- TÉLÉPHONE : 01 42 08 77 71