C’est dans un petit hôtel coloré et très cosy non loin de Pigalle que nous avons rencontré le réalisateur colombien Andrés Ramírez Pulido. Celui-ci nous parle de son premier long métrage, L’Eden, Grand prix de la Semaine de la critique au dernier festival de Cannes. Tourné dans une hacienda à l’abandon au cœur de la forêt tropicale, son long métrage explore les stigmates de la violence chez les adolescents colombiens.
Comment l’idée de faire ce film vous est-elle venue ?
L’Eden vient de différentes idées qui ont mûri dans ma tête. Ce sont des questions très personnelles sur l’adolescence, sur l’importance de la figure paternelle à cette période de la vie et de la marque indélébile qu’elle laisse en nous. Je dois dire que je n’étais pas conscient de tout ça avant de commencer à faire le film. Et puis, ce dernier est aussi intimement lié à mes deux précédents courts métrages qui portaient également sur le thème de l’adolescence.
Pour finir, la rencontre avec les jeunes de la ville où j’habite, Ibagué, a été déterminante. Je suis originaire de Bogotá, mais la vie et l’amour m’ont amené à déménager dans une ville plus petite. Sur place, avec ma femme, nous avons monté des ateliers de cinéma à destination des enfants et des adolescents en difficulté.
Je me suis vite aperçu que les jeunes avaient tous une relation très conflictuelle avec leur père. L’histoire du film est nourrie par la ville et les adolescents que nous avons connus. Je suis intéressé par un certain type de cinéma, celui qui reflète la réalité.
Une partie de l’histoire se déroule dans une hacienda en ruine, comme une métaphore de ce que vivent les garçons, voire de la société colombienne. Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
J’ai filmé mon premier court métrage intitulé également L’Eden dans cet endroit. L’histoire est différente car on y suit un groupe de jeunes qui débarquent dans une hacienda délabrée perdue au beau milieu de nulle part. Ensuite j’ai fait mon deuxième court métrage, Damiana, sur une fille en détention. Pour mon premier long métrage, j’ai décidé d’associer ces deux histoires et de faire évoluer un groupe des jeunes détenus dans une hacienda… Une sorte de prison sans murs…
Pour moi, cette hacienda en ruines symbolise un moment charnière de l’histoire colombienne, ce moment où la violence devient omniprésente et où les narcotrafiquantes font la loi. Cette demeure est également l’incarnation du passé conflictuel des adolescents. J’ai compris que ce lieu était l’endroit parfait pour tourner le film.
« Pour que les adolescents puissent tourner la page et commencer une nouvelle vie, ils ont besoin qu’on s’intéresse à eux et qu’on les accompagne »
Comment s’est déroulé le casting pour trouver le personnage d’Eliú, votre personnage principal ?
Pour Eliú, interprété par Jhojan Estiven Jiménez, ainsi que pour le personnage d’el Mono, nous sommes allés les chercher dans les rues d’Ibagué. Pour moi, le film avait besoin de cette vérité que seul un acteur non professionnel, qui a vécu une expérience similaire, pouvait nous apporter. Il y a quelque chose dans le corps, la manière de parler, le regard de ces garçons qu’on ne peut pas véritablement jouer…
Dans le film, les jeunes portent les stigmates de la violence, une violence qui est transmise de père un fils. Est-il possible de briser ce cercle vicieux ?
Le sujet est complexe, mais je pense qu’on peut s’en sortir. C’est souvent le cas quand on rencontre quelqu’un qui nous ouvre à de nouvelles perspectives ou qu’il nous arrive de nouvelles expériences qui bouleversent nos vies. C’est ce qui arrive à Eliú, mon personnage principal.
Les jeunes qui ont commis des erreurs se sentent coupables et stigmatisés par la société. Le système que nous avons mis en place est implacable et n’aide pas à la réinsertion. Pour que les adolescents puissent tourner la page et commencer une nouvelle vie, ils ont besoin qu’on s’intéresse à eux et qu’on les accompagne.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez reçu le Grand prix de la Semaine de la critique à Cannes ?
Ce fut une très agréable surprise ! D’autant que nous nous sommes présentés un peu au dernier moment, dans la précipitation. Tout a été très rapide. C’est seulement lors de notre voyage de retour que j’ai réalisé l’importance de ce prix. Je suis conscient que les prix ouvrent beaucoup de portes mais le plus important pour moi, c’est de continuer à faire ce cinéma connecté au réel que j’affectionne tout particulièrement.
Retrouvez ici notre chronique du film L’Eden.
Crédits photos : portrait Andrés Ramírez Pulido © Pyramide Films
FICHE DU FILM
- Titre du film : L’Eden
- De : Andrés Ramírez Pulido
- Date de sortie : le 22 mars 2023
- Durée : 1h26
- Distributeur : Pyramide Films