Á l’occasion de la sortie d’El Agua, nous avons rencontré la cinéaste espagnole Elena López Riera. Cette femme pétillante et pleine d’énergie signe un film largement inspiré par la terre que l’a vue naître, la Vega Baja d’Alicante. Un cinéma au plus près de ses racines, quasi anthropologique, dans lequel fantastique et imaginaire se mêlent parfaitement à la réalité la plus nue.
La peur de l’eau et la légende qui s’est nourrie de cette peur dans votre région de la Vega Baja d’Alicante est un élément fantastique qui gravite tout autour de votre premier long métrage. Quelles sont les origines de cette peur ?
Effectivement, dans ma région et plus particulièrement à Orihuela, mon village où je situe l’action du film, il y a une peur quasi irrationnelle de l’eau dont je me suis servie pour construire l’histoire. C’est une région méditerranéenne où les pluies se font de plus en plus rares et lorsqu’elles surviennent enfin, elles sont presque toujours diluviennes. On a une relation contradictoire avec l’eau. On en a besoin de beaucoup pour les plantations de fruits et de légumes, mais quand il pleut, c’est toujours trop.
Depuis des années, les inondations sont une constante et ce sont des inondations qui emportent tout sur leur passage. Je me souviens surtout des récits des vieilles femmes du village qui parlaient de femmes avalées par le fleuve. Selon les croyances locales, elles seraient condamnées à disparaître à chaque nouvelle inondation. Cette peur ancestrale de l’eau, désirée et redoutée, s’est transmise aux femmes.
« J’aime penser qu’un film est un processus vivant et organique, qui se nourrit de la réalité »
Le film raconte l’histoire d’une adolescente et de sa famille constituée uniquement de femmes. Avez-vous eu dès le départ cette idée de matriarcat dans laquelle la figure masculine est absente ?
Oui, pour moi c’était clair. Je suis très intéressée par la figure de la femme, en particulier en milieu rural. Ce sont pour la plupart des femmes fortes qui doivent se battre au quotidien. À Orihuela, il existe de nombreux matriarcats de ce type, des femmes qui arrivent seules à élever leurs familles. Je pense que c’est important de les mettre en lumière.
Comment s’est déroulé le casting du personnage principal, Ana, incarné par l’actrice non professionnelle Luna Pamiès ?
Ce fut un processus long et laborieux. Dès le départ, il était très clair pour moi qu’il fallait une personne de la région pour incarner Ana. Quelqu’un avec l’accent du coin, qui connaisse bien les légendes et la mythologie du lieu.
J’ai vu environ 3000 gamines pour le personnage d’Ana. Ça m’a pris presque un an pour la trouver. À vrai dire, j’avais rencontré Luna au tout début, dès la première semaine de mes recherches. C’était pendant les fêtes du village et elle dansait la nuit avec ses copains. J’ai réalisé tout de suite qu’elle était parfaite pour le personnage. Mais elle a disparu pendant des mois et n’a jamais donné des nouvelles jusqu’au jour où je l’ai enfin retrouvée. Je l’ai alors convaincue de se présenter au casting.
Vous avez aussi travaillé avec des actrices professionnelles consacrées, comme Bárbara Lennie et Nieve de Medina…
Pour ce qui est de Barbara Lennie, qui incarne la mère d’Ana, je l’avais en tête depuis longtemps. J’admire profondément son travail. C’est une actrice très intelligente et qui fonctionne à l’instinct. Quant à Nieve de Medina, elle est extraordinaire dans le rôle de la grand-mère. Elle a su nouer une grande complicité avec Luna et ça se ressent dans le film. C’était un réel plaisir de travailler avec elles.
Dans le film, vous mettez en avant une tradition orale véhiculée par les femmes du village. C’était important pour vous de leur donner la parole ?
Oui, l’idée du film m’est venue par ces femmes qui m’ont transmis cette oralité. Je viens du film documentaire et je les ai filmées avec ma caméra comme si j’étais justement en train de tourner un film documentaire. Je leur ai demandé de me parler des légendes autour de l’eau. J’affectionne tout particulièrement cette partie du film. D’ailleurs, parmi les voisines du village, on retrouve ma mère.
Ces femmes sont des modèles de résistance et de lutte contre l’adversité. Elles m’ont tout appris et m’ont encouragée à poursuivre mes rêves. Je souhaitais rendre leur parole audible, d’autant qu’un certain nombre d’entre elles avaient honte de s’exprimer face à la caméra. Elles me disaient qu’elles ne savaient pas faire ça, qu’elles s’exprimaient mal… Pour moi, donner la parole aux femmes du village, c’était presque un acte politique.
Vous avez également intégré des images des inondations de 2019 qui se sont justement produites lors du tournage du film. Comment l’idée d’incorporer ces images filmées par les habitants du village vous est-elle venue ?
Nous n’aurions jamais imaginé qu’une inondation d’une telle ampleur se déroulerait sous nos yeux… La dernière, c’était en 1986, quand j’étais gamine. Pour moi, c’était important d’incorporer ces images tournées par les habitants qui commentaient en direct ce qui était en train de se passer. Qui de mieux placé pour parler de ce désastre ? De la perte de sa maison ? Des plantations tout autour ? Cet événement nous a profondément marqué et a aussi changé et nourri notre façon de raconter l’histoire. Et puis, j’aime penser qu’un film est un processus vivant et organique, qui se nourrit de la réalité.
Retrouvez ici notre chronique du film El agua.
Crédits photos : portrait Elena López Riera © Les films du losange
FICHE DU FILM
- Titre du film : El agua
- De : Elena López Riera
- Date de sortie : le 1er mars 2023
- Durée : 1h44
- Distributeur : Les films du losange