On connait de nombreux reporters de guerre tels que Robert Capa, Eddie Adams ou Joe O’Donnell. Mais où sont les femmes ? Moins nombreuses et moins célèbres que leurs homologues masculins, les femmes photographes de guerre existent pourtant bel et bien. Elles ont exercé et exercent toujours ce métier périlleux et nous délivrent des clichés d’une force extraordinaire. Le Musée de la Libération de Paris accueille ainsi le travail de huit femmes photographes de guerre. Huit regards singuliers, bouleversants et profondément engagés.
Des femmes en première ligne de front
Qu’ont donc en commun Lee Miller, Gerda Taro, Catherine Leroy, Christine Spengler, Françoise Demulder, Susan Meiselas, Carolyn Cole et Anja Niedringhaus ? Elles sont toutes des photographes de guerre reconnues et ont couvert 75 années de conflits internationaux s’étalant de 1936 à 2011.
Des femmes photographes en première ligne de front qui ont d’abord dû batailler pour obtenir leur accréditation, puis pour se faire accepter par les hommes sur le terrain pour enfin parvenir à publier quelques-unes de leurs images dans la presse.
Dévoilant environ 80 photographies, une centaine de documents et une douzaine de journaux et magazines originaux, le musée parisien rend hommage à ces femmes qui, au même titre que les hommes, se sont rendues en première ligne pour informer leurs contemporains des principaux conflits armés de leur époque.
Gerda Taro (1910-1937), une pionnière.
L’exposition débute avec Gerda Taro, première photographe de guerre de l’Histoire. Cette audacieuse jeune femme d’origine juive et née en Allemagne, compagne de Robert Capa, s’est rendue à ses côtés pour couvrir la guerre d’Espagne dans le camp républicain.
Des années durant, de nombreuses photos de Gerda Taro ont été attribuées à Capa, jusqu’à la découverte en 2007 de la valise mexicaine. À l’intérieur de cette valise, on retrouve environ 4000 négatifs de la guerre civile espagnole appartenant à Taro, à Capa ainsi qu’au photographe d’origine polonais et ami du couple, Chim. La découverte de cette valise permet l’identification des clichés réalisés par Gerda Taro.
Les images de cette pionnière de la photographie montrent au plus près les troupes républicaines sur le front, mais aussi les civils pris malgré eux dans le feu du conflit. Pour la première fois dans la photographie de guerre, elle va également capturer avec l’objectif de son Leica des clichés de morts qui s’entassent dans les morgues espagnoles.
Sa carrière finira tragiquement à 27 ans seulement. En 1937, pendant la bataille de Brunete, un village situé à une vingtaine de kilomètres de Madrid, elle perdra la vie dans un tragique accident, écrasée par un char républicain.
Lee Miller (1907–1977). De la passerelle à la photographie
Parcours étonnant que celui de cette photographe américaine née en 1907 au sein d’une bonne famille dans l’État de New-York. Lee Miller fait ses premiers pas dans l’univers de la photographie comme mannequin pour Vogue. Des années plus tard, elle part pour Paris avec pour projet de devenir photographe. Elle sera la muse, l’assistante et la maîtresse du réputé photographe Man Ray et intègrera rapidement le cercle des surréalistes.
En 1940, après des allers-retours entre l’Europe, l’Égypte et les États-Unis, elle s’installe définitivement en Angleterre. L’année suivante, elle devient correspondante de guerre au sein de l’armée américaine pour le magazine Vogue. Elle suit la Seconde Guerre Mondiale, le débarquement, et témoigne de la vie quotidienne des soldats ainsi que de la découverte des camps de concentration de Buchenwald et Dachau.
Ses photos se caractérisent par un regard très cru sur la réalité ainsi qu’une empreinte artistique très marquée. En effet, ces dernières dégagent une atmosphère énigmatique, étrange, qui nous rappelle fortement les œuvres des surréalistes.
Dans l’exposition vous pourrez admirer une photo où Miller, le regard perdu, pose en se savonnant dans la baignoire d’Hitler au lendemain de son suicide. Une photo prise par David E. Scherman, photographe de Life, qui l’accompagnait durant ce périple et qui dira d’elle : « Lee est devenue une GI ».
Catherine Leroy (1944-2006). Une jeune première au Vietnam.
Venue d’une famille bourgeoise parisienne, Catherine Leroy laisse derrière elle une carrière de pianiste de jazz peinant à décoller pour embrasser la profession de photographe de guerre. En 1966, elle quitte soudainement la France pour Saigon avec en poche un aller simple.
À 21 ans, cette jeune fille au physique frêle, haute d’un mètre quarante-huit seulement, réussit après avoir frappé à la porte des agences et des bureaux de presse à vendre ses clichés quinze dollars pièce à Associated Press.
En 1967, elle fera l’une de ses photos les plus célèbres. Sur la colline 881, un Marine infirmier, Vernon Wike, tient dans ses bras un camarade mort suite à une attaque Viêt-cong. À plat ventre à même le sol, Catherine Leroy parvient à capturer à travers l’objectif de son Leica toute l’impuissance et la désolation qui traversent ce jeune soldat américain. Dans ses photos, Catherine Leroy place souvent son objectif à ras du sol, près des corps, cherchant toujours le regard des soldats au combat.
« La mort de jeunes américains sur le champ de bataille acquiert dans les images de Catherine Leroy et de ses collègues un réalisme terrifiant. » Extrait du catalogue, texte de Sebastian Knoll.
Christine Splenger (née en 1945). L’art de cacher sa caméra.
Née en France et élevée à Madrid, Christine Splenger a fait des études de littérature avant de se consacrer à la photographie. Elle découvre fortuitement sa vocation en 1970, lors d’un voyage au Tchad. Après son périple dans ce pays centrafricain, elle décide d’apprendre le métier sur le terrain et se lance alors à corps perdu dans une carrière de photojournaliste.
Avec sa caméra Nikon en bandoulière, elle témoigne des conflits qui ont marqué la fin du XXème et le début du XXIème siècle, comme ceux d’Irlande du Nord (1972), du Vietnam (1973), du Cambodge (1975), du Sahara Occidental (1976), d’Iran (1979), du Nicaragua (1981), du Salvador (1981), du Liban (1982), de l’Afghanistan (1997) et d’Irak (2003)…
Dans les pays musulmans, tels l’Iran de Khomeini (1970), ou l’Afghanistan des talibans (1997), elle a pu dissimuler son appareil photo sous son voile qu’elle portait systématiquement pour passer inaperçue. Grâce à cette tenue, Christine Splenger a ainsi pu réaliser des photos qu’aucun homme n’aurait pu prendre.
Ses clichés de guerre feront grâce à leur puissance visuelle le tour du monde, à l’instar de la série des enfants dans les rues de Londonderry, en Irlande du Nord, jouant à la guerre, ou l’iconique photo de Phnom Penh complètement dévastée suite au bombardement des Khmers rouges et qui a été choisie comme affiche de l’exposition. Très inspirée par la peinture de Goya, elle revendique l’influence du maître espagnol dans le cadrage de ses images.
Françoise Demulder (1947-2008) et sa photo symbole de la guerre du Liban.
Ses clichés pris sur le vif au Vietnam, Cambodge ou au Liban ont marqué les années 1970. Première femme à gagner le prestigieux prix Word Press, Françoise Demulder connait la renommée en 1976 avec une photographie des milices chrétiennes attaquant le quartier beyrouthin de La Quarantaine, habité par des réfugiés palestiniens.
Cette image en noir et blanc, prise alors que les palestiniens tentent d’échapper au massacre, a failli n’être jamais publiée. Et pourtant, elle deviendra le symbole du drame palestinien durant la guerre et sera placardée sur tous les murs de Beyrouth.
Susan Meiselas (née en 1984) et l’Amérique Centrale.
Figure phare de l’agence Magnum, l’américaine Susan Meiselas est l’une des photojournalistes contemporaines les plus célèbres. Sa carrière décolle notamment grâce à ses reportages sur la révolution sandiniste au Nicaragua où elle va se rendre à l’âge de 30 ans, quasiment sans aucune expérience du terrain. En effet, Meiselas originaire de Baltimore, voit dans cette révolution un événement qui défie les pratiques usuelles de la presse.
Contrairement à l’usage et au risque de choquer l’opinion, elle choisit de prendre des clichés en couleur de ce conflit sanguinaire qui a profondément marqué les esprits. Elle estime qu’il était impossible de représenter le Nicaragua en blanc et noir. Sa célèbre photo Molotov man fera le tour du monde et mettra le conflit nicaraguayen sur le devant de la scène.
Les images de Susan Meiselas ont révélé à l’opinion publique les conflits majeurs d’Amérique centrale, tels qu’au Salvador ou au Nicaragua. Elle a été récompensée en 1979 par la médaille d’or Robert Capa.
Carolyn Cole (née en 1961). La maîtrise de la lumière.
Reporter de guerre hors pair, l’américaine Carolyn Cole a fait à plusieurs reprises le tour du monde : la guerre au Kosovo, le front afghan, les révoltes en Haïti ou la guerre d’Irak… Elle a été auréolée de nombreux prix, notamment du Pulitzer pour son travail au Liberia pendant la guerre civile, de la médaille d’Or Robert Capa et du World Press Photo à plusieurs reprises.
Vous pourrez admirer les clichés de son extraordinaire photoreportage sur l’église de la Nativité à Bethléem, réalisé en avril 2002, lors de la seconde intifada. Face à l’avance de l’armée israélienne, deux cent palestiniens environ s’y sont réfugiés. Dans ces images en couleur, Carolyn Cole cherche, à la manière de Rembrandt, les clairs-obscurs et le jeu de lumière. Imprégnées d’une puissante humanité, la photographe américaine arrive à nous transmettre à la fois l’angoisse, la foi, la solidarité et la tension vécues par les occupants à l’intérieur du temple.
Anja Niedringhaus (1965-2014). L’humain au centre de la photo.
Pour Anja Niedringhaus, « L’histoire de la guerre, c’est l’histoire des personnes qui se retrouvent prises au piège ». En Bosnie, en Lybie, en Irak ou en Afghanistan, la photographe allemande née en Rhénanie-du-Nord-Westphalie a rarement montré des images de batailles ou de morts. La guerre constitue la toile de fond, mais c’est toujours l’être humain qui se retrouve au centre de la photo. Dans l’exposition, plusieurs clichés en témoignent, comme par exemple celle où des Marines américains font irruption au domicile d’un député irakien, trouvant à l’intérieur deux femmes et plusieurs enfants qui les regardent avec un mélange de méfiance, de peur et de stupéfaction.
Ironie du destin, Anja Niedringhaus, première femme photographe allemande à recevoir le prix Pulitzer pour son reportage sur la guerre en Irak, décède en 2014 à seulement 48 ans sous les balles d’un membre de la police afghane alors qu’elle faisait la couverture des élections présidentielles du pays.
Voici une exposition en tout point fascinante qui révèle le travail souvent méconnu des femmes photographes de guerre. Huit femmes qui, avec une grande variété stylistique et narrative, ont joué un rôle décisif en contribuant à rendre visible une multitude de conflits. Sur les murs du Musée de la Libération, vous trouverez des photographies allant des année 1930 aux conflits les plus récents, nous montrant que le photojournalisme de guerre n’est certainement pas qu’une affaire d’hommes.
Crédits photos : Carolyn Cole, Prisonniers irakiens après l’assaut d’un ancien poste de police à Kufa, en Irak, par des Marines américains. Koufa, Irak, août 2004 © Carolyn Cole / Los Angeles Times (photo de couverture)
INFORMATIONS PRATIQUES
- TITRE : Femmes Photographes de guerre
- ADRESSE : Musée de la Libération, Musée général Leclerc, Musée Jean Moulin, 4, rue avenue du Colonel Henri Rol-Tanguy 75014 Paris
- HORAIRES D’OUVERTURE : de mardi au dimanche de 10h à 18h
- DATES : jusqu’au 31 décembre 2022
- TARIF : 8 € – 6 €
- RENSEIGNEMENTS : Musée de la Libération